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Marguerite Yourcenar vivait les yeux ouverts

Les yeux ouverts , entretiens de Marguerite Yourcenar avec Matthieu Galey

 

J’ai relu cette semaine Les yeux ouverts. J’ai été à nouveau saisie par l’intelligence des propos de Marguerite Yourcenar et leur actualité, brûlante aujourd’hui. Ce livre a été édité en 1980. Et pourtant :

 

Marguerite Yourcenar, Le livre de Poche

Marguerite Yourcenar, Le livre de Poche

ECOLOGIE ET BARBARIE

 

« Je me dis souvent que si nous n’avions pas accepté, depuis des générations , de voir étouffer les animaux dans des wagons à bestiaux, ou s’y briser les pattes comme il arrive à tant de vaches ou de chevaux, envoyés à l’abattoir dans des conditions absolument inhumaines, personne, pas même les soldats chargés de les convoyer, n’aurait supporté les wagons plombés des années 1940-1945. Si nous étions capables d’entendre le hurlement des bêtes prises à la trappe (toujours pour leur fourrure) et se rongeant les pattes pour essayer d’échapper, nous ferions sans doute plus attention à l’immense et dérisoire détresse des prisonniers de droits communs -dérisoire parce qu’elle va à l’encontre du but, qui serait de les améliorer, de les rééduquer, de faire d’eux des êtres humains. Et sous les splendides couleurs de l’automne, quand je vois sortir de sa voiture, à la lisière d’un bois pour s’épargner la peine de archer, un individu chaudement enveloppé dans un vêtement imperméable, avec une « pint » de whisky dans la poche du pantalon et une carabine à lunette pour mieux épier les animaux dont il rapportera le soir la dépouille à sanglante, attachée sur son capot, je me dis que ce brave homme, peut-être bon mari, bon père ou bon fils, se prépare sans le savoir aux « Mylaï » de l’avenir. En tout cas, ce n’est plus un homo sapiens. »

« Le Mylaï est un village vietnamien dont la population fut massacrée par un détachement américain, nouvelle qui éclata à retardement et fit quelque temps scandale », précise le livre, en bas de page. L’écrivain dit dans ce livre qu’elle est presque entièrement végétarienne. Elle ne se paye de mots : elle acte.

Voilà, le ton est donné ! Avec Marguerite Yourcenar, pas de faux-col, pas d’hypocrisie, du réel, du concret, du palpable. Durant ces entretiens avec Matthieu Galey, alors critique littéraire et chroniqueur à L’Express, elle parle d’écologie, d’humanisme, de politique, d’éducation, de spiritualité, d’elle -le moins possible-, et bien entendu de littérature mais plus encore : décriture.

Les écrivains s’expriment peu sur ce que j’appelle « la tambouille littéraire ». C’est avec plaisir qu’elle évoque les techniques, les incessants allers et retours de son intelligence d’écrivain et de sa mémoire auprès de ses personnages, et comment ils grandissent en elle jusqu’à devenir suffisamment présents, « vrais » pour être enfin écrits. Il est palpable, quand on lit ce livre, que pour Marguerite Yourcenar son Zénon, son Adrien sont réels, aussi réels qu’elle. Ses personnages semblent l’avoir accompagnée partout dans ses périples autour du monde. Elle visualise parfaitement ses personnages, s’imprègne de l’atmosphère des lieux où ils ont vécus en les visitant, se documente…

 

Mémoires d'Hadrien, collection folio

Mémoires d’Hadrien, collection folio

A cette question -volontairement provocatrice de Matthieu Galey, elle répond longuement, et droit au but :

POLITIQUE ET EDUCATION

 

« Je condamne l’ignorance qui règne en ce moment dans les démocraties aussi bien que dans les régimes totalitaires. Cette ignorance est si forte, souvent si totale, qu’on la dirait voulue par le système, sinon par le régime. J’ai souvent réfléchi à ce que pourrait êtere l’éducation de l’enfant. Je pense qu’il faudrait des études de base, très simples, où l’enfant apprendrait qu’il existe au sein de l’univers, sur une planète dont il devrait plus tard ménager les ressources, qu’il dépend de l’air, de l’eau, de tous les êtres vivants, et que la moindre erreur ou la moindre violence risque de tout détruire. Il apprendrait que les hommes se sont entre-tués dans des guerres qui n’ont jamais fait que produire d’autres guerres, et chaque pays arrange son histoire, mensongèrement, de façon à flatter son orgueil. On lui apprendrait assez du passé pour qu’il se sente relié aux hommes qui l’ont précédé, pour qu’il les admire là où ils méritent de l’être, sans s’en faire des idoles, non plus que du présent ou d’un hypothétique avenir. On essayerait de le familiariser à la fois avec les livres et les choses; il saurait le nom des plantes, il connaitrait les animaux sans se livrer aux odieuses vivisections imposées aux enfants et aux très jeunes adolescents sous prétexte de biologie; il apprendrait à donner les premiers soins aux blessés; son éducation sexuelle comprendrait  la présence à un accouchement, son éducation mentale la vue des grands malades et des morts. On lui donnerait aussi les simples notions de morale sans laquelle la vie en société est impossible, instruction que les écoles élémentaires et moyennes n’osent plus donner dans ce pays. En matière de religion, on ne lui imposerait aucune pratique ou aucun dogme, mais on lui dirait quelque chose de toutes les grandes religions du monde, et surtout celle du pays où il se trouve, pour éveiller en lui le respect et détruire d’avance certains odieux préjugés. On lui apprendrait à aimer le travail quand le travail est utile, à ne pas se laisser prendre à l’imposture publicitaire, à commencer par celle qui vante des friandises plus ou moins frelatées, en lui préparant des caries et des diabètes futurs. Il y a certainement un moyen de parler aux enfants de choses véritablement importantes plus tôt qu’on ne le fait. »

Comment ne pas applaudir à deux mains ? Marguerite Yourcenar manie la lucidité et le bon sens avec maestria; ses armes sont l’intelligence et la bonté. C’est une humaniste. Et son intérêt pour l’antiquité, ses personnages, historiques ou non, les Stoïciens, l’Histoire, n’est pas de surface. C’est une femme qui prend ses responsabilité et rend à chacun les siennes. Mieux, elle demande aux hommes de les saisir à bras le corps, et non de vivre mollement en se laissant porter par le courant ambiant. Ghandi n’est pas loin. Du reste, elle s’intéresse aussi beaucoup aux sagesses orientales. Elle est d’une érudition abasourdissante. Elle semble avoir tout lu, particulièrement de la littérature antique et classique. Elle s’intéresse à tout, et à tous.

Marguerite Yourcenar

Marguerite Yourcenar

   RESPONSABILITE ET PARTAGE

 

Quand Matthieu Galey, toujours la chatouillant, lui assène : « L’action individuelle paraît un peu dérisoire, quand c’est une société toute entière, qui pend la mauvaise voie. », elle réplique : « Tout part de l’homme. C’est toujours un homme seul qui fait tout , qui commence tout : Dunand et Florence Nightingale pour la fondation de la Croix-Rouge, Rachel Carson pour la lutte contre les pesticides, Margaret Sangers pour le planning familial. Parlant de Dieu, je fais dire à Zénon : « Plaise à celui qui est peut-être de dilapider le cœur de l’homme à la mesure de toute la vie », et c’est pour moi une phrase si essentielle que je l’ai fait d’avance graver sur ma tombe. Il faudrait que l’homme participât sympathiquement au sort de tous les autres hommes ; bien plus, de tous les autres êtres. »

Il y a tant à prendre, à s’approprier, à méditer, à mettre en pratique dans ce livre unique, que pourtant Marguerite Yourcenar n’avait pas apprécié, trouvant qu’elle avait trop parlé d’elle et non de ce qui la préoccupait ! Et pourtant, un tel humanisme s’en dégage, une vision si dénuée de fioriture sur le monde et la marche des hommes, que sa lecture devrait être recommandé à tout jeune être entrant dans l’âge adulte. Pour ma part, ma fille est âgée de dix ans et j’ai décidé de lui faire lecture, puisque je la lui fais chaque soir, de quelques passages, et d’en discuter.

 

L'Oeuvre au Noir, collection folio

L’Oeuvre au Noir, collection folio

Pour en revenir à l’acte d’écrire -il est vrai que j’ai pris des chemins de traverse pour cet article mais je voulais rendre le son un peu désordonné d’une conversation, ce que ce livre est-, Matthieu Galey demande : « Est-ce un effort, une souffrance que d’écrire ? »

ECRITURE ET VISION

 

Réponse de ce grand écrivain : « Non, c’est un travail, mais c’est aussi presque un jeu, et une joie, parce que l’essentiel, ce n’est pas l’écriture, c’est la vision.  J’ai toujours écrit mes livres en pensée avant de les transcrire sur le papier, et je les ai parfois même oubliés pendant dix ans avant de leur donner une forme écrite. La scène entre Zénon et le chanoine, par exemple, je l’ai vue, je pourrais dire que je l’ai écrite dans ma tête, en écoutant de la musique, du Bach, je crois, chez un ami, un après-midi, vers 1954. Je suis sortie de chez lui en me disant : » Je n’ai pas le temps ni l’occasion d’écrire cela maintenant, et je ne l’aurai sans doute pas d’ici des mois, des années peut-être. On s’en souviendra ou l’on ne s’en souviendra pas, on verra bien. » Et puis des années plus tard, cela m’est revenu… »

Sur la « tambouille » de l’écriture, voici ce que nous raconte Marguerite Yourcenar :

DE L’ART D’ECRIRE UN LIVRE

 

« Le métier d’écrivain est un art, ou plutôt un artisanat, et la méthode dépend un peu des circonstances. Parfois je rends un bloc de papier et je griffonne mon texte d’une écriture qui devient malheureusement illisible au bout de quatre ou cinq jours, qui se fane, en quelque sorte, comme les fleurs. Mais il arrive aussi que j’aille droit à ma machine à écrire et que je tape une première version. Dans les deux cas, je mets toutes mes lancées, pour chaque phrase ; ensuite je rature, et je choisis celle que je préfère. Je travaille aussi à la colle et au ciseau, mais pas toujours. Et si vous aimez mes petites manies d’écrivain, je peux vous en citer une : à la troisième ou quatrième révision, armée d’un crayon, je relis mon texte, déjà à peu près propre, et je supprime tout ce qui  peut être supprimé, tout ce qui me paraît inutile. Là, je triomphe. J’écris au bas des pages : supprimé sept mots, supprimé dix mots. Je suis ravie, j’ai supprimé l’inutile. »

J’ai beaucoup laissé s’exprimer Marguerite Yourcenar puisqu’il s’agit d’un entretien. Il est juste maintenant que je vous livre une petite biographie de l’écrivain.

Crédit photo : franzconde Marguerite Yourcenar, âgée de cinq ans

Crédit photo : franzconde
Marguerite Yourcenar, âgée de cinq ans

 

SON PARCOURS

 

Marguerite Yourcenar est en réalité née Marguerite Cleenewerck de Crayencour (Bruxelles, 8 juin 1903 – Mount Desert Island, États-Unis, 17 décembre 1987.) Yourcenar est un anagramme de  Crayencour. Elle est la première femme élue à l’académie française, en 1981. Sa mère flamande meurt à sa naissance et elle est élevé par un père anticonformiste, très cultivé, grand voyageur, libre, qui lui donne tôt le goût de la littérature et des langues anciennes. Elle voyage avec lui durant son enfance, habite différents pays. En 1939, elle s’installe avec sa compagne Grace Frick, universitaire américaine et traductrice, dans l’île des Monts-Déserts, dans le Maine, où elle vivra le reste de sa vie. Elle devient citoyenne américaine en 1947. Grace meurt en 1979. Marguerite Yourcenar continue de mener son existence entre écriture et voyages. Elle a un dernier compagnon avec qui elle entreprend de longs voyages, et même un tour du monde, Jerry Wilson, qui meurt du sida.

C’est un être de conviction : à l’avant-garde de l’écologie, c’est elle qui alerte Brigitte Bardot sur le massacre des bébés phoques.

Mémoires d’Hadrien la consacre définitivement femme de lettres. Elle a enseigné, écrit des traductions, et bien entendu ses propres œuvres : L’Oeuvre au Noir, Nouvelles orientales, Alexis-Le coup de grâce, Le Labyrinthe du monde, Un homme obscur, etc.

Je n’ai pas envie de m’étendre là-dessus car vous trouverez facilement sur internet des biographies plus précises et toutes les œuvres de Marguerite Yourcenar, ainsi que leurs critiques.

Ce que je veux vous partager aujourd’hui, ce sont Les yeux ouverts, une lecture que je vous conseille ardemment car je la crois indispensable. Et je crois indispensable que nous cultivions, écrivains ou non, le même humanisme, la même ouverture d’esprit, le même courage face à la vie et le même amour de vivre. Oui, Marguerite Yourcenar vivait les yeux ouverts.

Et vous, avez-vous lu Les yeux ouverts ? L’avez-vous autant aimé que moi ?

 

Les yeux ouverts, Marguerite Yourcenar   

Mémoires d’Hadrien, Marguerite Yourcenar

L’Œuvre au Noir, Marguerite Yourcenar      

Lire et écrire : êtes-vous un bon lecteur ?

J’ai deux questions à vous poser !

 

Crédit photo : Sylvain Courant

Crédit photo : Sylvain Courant

Vous et la lecture : où en êtes-vous ?

 

Vous aimez écrire sinon vous ne seriez pas ici. Vous écrivez pour votre plaisir. Vous partagez peut-être parfois vos écrits avec vos amis, votre famille. Vous les publiez peut-être sur une plate-forme dédiée à cela sur internet comme WeLoveWords, Atramenta, etc. De très bonnes plates-formes que je vous conseille du reste.

Peut-être avez-vous déjà édité un ou plusieurs livres par vous-même, sur internet ou sur papier, ou à compte d’éditeur. Peut-être même rêvez vous de devenir écrivain, de vivre de votre plume…

Vous écrivez du roman, de la nouvelle, de la poésie, du théâtre, de la chanson, de la biographie, peu importe au fond.

Qui que vous soyez, quoi que vous écriviez, ou rêvez d’écrire, j’ai une question à vous poser : lisez-vous ?

Et une deuxième question qui en découle : que lisez-vous ?

EXERCICE

Prenez le temps de répondre. Prenez-le comme un exercice excitant, intéressant, parce qu’il va vous apprendre sur vous-même ! Laissez cet article, prenez un stylo, une feuille de papier, et répondez :

 

A. Combien de livres lisez-vous par semaine, par an ?

Soyez honnête, écrivez sur votre feuille le chiffre qui se rapporte le plus à votre réalité. Ni plus ni moins.

 

B. Que lisez-vous ?

Des manuels pratiques, de développement personnel, de l’histoire, de la psychologie, de la B.D,de l’histoire, de la philosophie, des carnets de voyage, des guides touristiques, des romans, de la poésie, du théâtre, des biographies, de manuels de cuisine ? Et si c’est du roman, quel genre de roman ? De la poésie, quel genre de poésie? Du théâtre, quel genre de théâtre ? Etc.

Faites la liste la plus complète possible sur les 12 derniers mois, faites cet effort de mémoire.

Allez jusqu’au bout puis faites des listes par genre.

Essayez de voir ce qui motive vos lectures, ce que vous aimez naturellement lire. Prenez votre temps. Vous allez peut-être y passer une heure car vos goûts sont éclectiques et que vous avez beaucoup lu cette dernière année (bravo, c’est bon signe !), et peut être 5 minutes parce que vos goûts sont très précis, ou que vous avez peu lu ou que vous avez une excellente mémoire !

Crédit photo : yonolatengo

Crédit photo : yonolatengo

 

Vous êtes revenu ? Vous êtes avec moi ?

Cet exercice vous oriente!

 

Voilà, vous avez fait vos listes par genre des livres que vous avez lu sur la dernière année ; vous avez une idée plus claire de ce vers quoi vos goûts tendent.

La lecture, pour un écrivain -professionnel ou pas, là n’est pas la question- est primordiale : la lecture nourrit puissamment l’écrivain, le forme, lui apprend la langue, ses subtilités, le ton et les techniques dans le genre qu’il veut sonder, dans lequel il désire écrire. La lecture lui donne une culture générale mais aussi la culture du genre qu’il veut exploiter.

Un écrivain ne peut pas se passer de lecture. Du reste, la plupart des écrivains le sont devenus parce qu’ils étaient de grands lecteurs. Pour ma part, chaque fois que je m‘attaque à la rédaction d’un livre, je tente d’écrire ce que j’aimerais lire !

On n’écrit pas un livre de cuisine comme on écrit un guide de voyage, un polar comme on écrit un roman psychologique.

C’est pourquoi sans lectures, sans la culture de son genre littéraire de prédilection, sans culture générale, apprise peut-être durant des études spécialisées (mais c’est insuffisant) mais aussi dans nos lectures, on risque de ne pas écrire ce qu’on désire. L’écrivain risque d’être à  côté de la plaque. Sans amour de la littérature pour un romancier, de la poésie pour les poètes, de la biographie pour un biographe, etc, je n’imagine pas une seconde qu’un écrivain puisse parvenir à quoi que ce soit de valable.

La liste de ce que vous avez lu cette dernière année est faite maintenant. Relisez-là. Soyez lucide.

 

Crédit photo : quattrostagioni

Crédit photo : quattrostagioni

 

A. Vous êtes un mauvais lecteur

 

Parce que si vous vous êtes rendu compte que vous lisez insuffisamment (il me semble qu’une moyenne de 50 livres par an, du moins quand on veut écrire sérieusement, est un minimum), vous savez ce qu’il vous reste à faire : lisez maintenant !

Achetez des livres, ou téléchargez, ou inscrivez-vous à une bibliothèque, mais lisez ! Croyez en vous, croyez que vous aller trouver le temps de lire davantage et vous le trouverez. Les semaines n’ont que 24 h pour tout le monde. C’est vous qui décidez de ce que vous faites de votre temps.

Dans un an, refaites votre liste et vous y verrez plus clair : vous saurez quels sillons vous avez vraiment envie d’exploiter davantage. Quels livres vous avez envie d’écrire.

 

B. Vous êtes un bon lecteur

 

Maintenant, vous êtes un bon lecteur (vous lisez au moins 50 livres par an), vous lisez beaucoup, ou énormément. Vous savez que vous devez creuser dans 2 ou 3 sillons qui semblent particulièrement vous convenir. Des genres « littéraires » qui vous donnent de l’enthousiasme. Sans oublier quelques livres pour votre culture générale. Vous savez quel type de lecture vous lirez principalement cette année. Il y a de fortes chances pour que ce soit autour des sujets que vous lisez que vous ayez envie d’écrire ou écrivez déjà.

 

Crédit photo : Frédéric Bisson

Crédit photo : Frédéric Bisson

 

Lire pour mieux écrire

 

Le grand mot de tout cela n’est ni le mot studieux ni travail. C’est le mot plaisir. Vous lisez pour le plaisir, par pur plaisir. Si la lecture devient pour vous une obligation, ce n’est plus la peine de poursuivre. Elle ne sert qu’à vous dégoûter de la lecture ! Non, vous lisez pour le plaisir. De la même manière que vous écrivez avec plaisir, et écrirez dans le plaisir.

Lire et écrire sont deux facettes de la même passion : celle de l’écriture. Et des livres.

Et vous lisez-vous ? Êtes-vous bon lecteur ? Aimez-vous lire ? Et que lisez-vous ?

N’oubliez pas de lire mon dernier article : pourquoi les livres coûtent-ils si chers ? Comment l’écrivain est-il concerné par la chaîne du livre ?

A très bientôt.

 

 

Pourquoi les livres coûtent-ils si chers ? Comment l’écrivain est-il concerné par la chaîne du livre?

Aujourd’hui, un article pour les néophytes. Ceux qui ont déjà été édités à compte d’éditeur me pardonneront ; nous allons explorer :

La chaîne du livre et… les chaînes de l’écrivain

 

La question cruciale pour l’avenir du livre papier, en concurrence avec le livre numérique, est : comment baisser les coûts d’édition ? Je ne peux pas y répondre. Et personne ne semble en mesure de le faire. Même le bois devient plus rare et plus cher d’année en année. Or il faut du bois pour fabriquer du papier… Par contre je peux te renseigner sur cette question :

Pourquoi les livres coûtent-ils si chers ?

 

En moyenne, un roman fraichement sorti coûte 20€, un peu plus, un peu moins… Pour la bourse d’un Français moyen, c’est cher. C’est un point de vue normal, rien à y redire.

Maintenant, voyons le point de vue de celui qui vend le livre, c’est-à-dire l’éditeur.

Je vais t’étonner : non, l’éditeur ne se remplit pas la panse comme un porc, non, ce n’est pas banquet de Noël tous les jours ! Parce qu’avant de vendre un livre, il existe toute une succession d’actes qui lui coûtent déjà de l’argent. C’est ce qu’on appelle, sans poésie aucune, la chaîne du livre.

Je sais, ça ne fait pas glamour. Quand on a mis le dernier point à son roman, qu’on a le désir brûlant qu’il se vende à des millions d’exemplaires, ça fatigue d’entendre parler  de la chaîne du livre. Et pourtant…

 

Crédit photo : Angela Schlafmütze

Crédit photo : Angela Schlafmütze

 

LA CHAÎNE DU LIVRE 

 

   C’est un long processus dont je vais te décrire les étapes :

 

    1    Toi, l’écrivain, tu es payé le premier si ton éditeur est digne de ce nom, évidemment. Tu as écrit le livre, tu as sué sang et eau, tu es fier, heureux comme Artaban d’avoir été élu : tu as signé ton contrat, tu vas être publié ! Et tu veux être rémunéré, c’est logique.

Tu vas être très, très mal payé, tu le sais déjà : 10% hors taxes du prix de vente de ton livre, une misère. Il faudra pourtant t’en contenter. Certains éditeurs poussent la malice jusqu’à te donner seulement 8%. Mais si tu es une star, tu pourras monter jusqu’à 12%, voire 15%. Il se murmure que Jean d’Ormesson parvient à négocier du 20%. Mais je ne sais pas si c’est vrai. Bon, je résume : 10%. Voilà pourquoi tu es concerné par la chaîne du livre. Parlons boutique, parlons gros sous.

 

   2   –  Ton livre est à la maison d’édition. Il passe entre les mains du correcteur et vous mettez au point, ensemble, le texte définitif. Le correcteur coûte de l’argent à ta maison. Pour le moment, ton éditeur travaille donc à perte. Il te fait confiance, confiance à ton livre aussi : il mise sur la vente de ton livre. L’édition, c’est un peu le Loto, surtout avec un nouvel écrivain, un qui n’a jamais édité. C’est peut-être ton cas.

 

     3     Tu es d’accord avec le correcteur.  Tu signes ton B.A.T (bon à tirer pour les novices ; après tu ne peux plus revenir en arrière.) Le livre est mis en page, bouclé pour l’imprimeur sur un logiciel spécifique. Là aussi, un graphiste travaille et il faut qu’il soit rémunéré par l’imprimeur, ce qui se répercute sur le prix de l’impression.

 

     4  –   L’imprimeur tire ton livre. Ça aussi, ça coûte. Pas tellement plus si on tire beaucoup d’exemplaires. Mais bon, il faut passer à la caisse. L’imprimeur a besoin de manger, comme toi et moi.

 

Crédit photo : Frédéric Bisson

Crédit photo : Frédéric Bisson

 

     5  –    Ah, oui, entre-temps, ton éditeur a commencé à faire travailler ton attachée de presse (j’écris attachée, tu l’as sûrement noté, parce que dans le milieu, il y a 100 attachées pour 1 attaché. Ne me demande pas pourquoi, je n’en sais rien.)

Cette attachée de presse peut travailler dans la maison d’édition même ou en free-lance. Elle rédige un dossier de presse pour présenter ton livre et vanter ses mérites (si, si) afin de l’envoyer avec un exemplaire de ton livre, qu’on appelle exemplaire de presse, aux journalistes qu’elle a sélectionnés. Cette attachée est en général mise en place pour 6 mois durant lesquels elle fait ta promo, te trouves des interviews, etc. Bon : il faut la payer.

Donc si tu comptes bien, ton éditeur rémunère :

  • toi, l’écrivain
  • le correcteur (la plupart du temps une correctrice, du reste)
  • le graphiste (il faut une couverture et une 4ème de couv)
  • l’imprimeur
  • l’attachée de presse
  • et distribue tes livres gratuitement. Sans avoir touché un seul sou sur la vente de tes livres.

Et ce n’est pas fini :

     6     Il faut maintenant penser à la mise en place du livre, c’est le terme du jargon : autrement dit, envoyer 15 ou 20 représentants à travers la France pour rencontrer les libraires (et autres patrons des points de vente) et leur proposer ton livre (pour ton plus grand bien). Et discuter de sa mise en valeur. Ou pas…

Si tu es un roi de l’édition, tu as droit aux têtes de gondole – et tu ne lis pas cet article car ça fait longtemps que tu n’as plus besoin de mon blog !

Mais si, comme moi, tu es un modeste artisan de la littérature, les représentants auront déjà du mal à placer 1000 ou 1500 de ton roman pour commencer ! Non, ne pleure pas, c’est la triste réalité !

Comment ça fonctionne ? Les toutes petites maisons d’édition font le démarchage elles-mêmes. C’est pourquoi tu n’es vendu qu’à Palavas-les-Flots ou dans le village natal de ton arrière grand-mère quand tu y habites.

 

Crédit photo : Julien Lagarde

Crédit photo : Julien Lagarde

 

     7     Si ta maison d’édition est moyenne ou grosse, c’est le jackpot ! Tu as droit à un vrai diffuseur. Car ta maison d’édition peut alors payer un diffuseur qui fait donc appel, comme je te le disais plus haut, à des représentants. Et ton livre est normalement vendu dans un grand nombre de librairies et points de vente divers, voir même à l’étranger en pays francophones et sur internet, bien sûr.

Les très grandes maisons d’édition possèdent même leur propre diffuseur, qu’elles ont créé. Pour les rentabiliser, elles proposent les services de leur diffuseur aux autres maisons d’édition (malin, non ?) Pour un diffuseur qui diffuse vraiment (oui, c’est La Palice mais tu n’imagines pas le nombre de diffuseurs bidons sur le marché), c’est :

       –   Interforum (filiale du groupe Editis)

       –   Volumen Diffusions (Volumen Distribution) : appartient à La Martinière-Seuil.

Pour Racines mêlées, j’ai eu l’honneur et la chance d’avoir Volumen. Attention, ami Lecteur, ça ne veut pas dire  que j’ai touché le jackpot pour autant !

       –   CDE (SODIS) : appartient à Gallimard

       –   Flammarion Diffusion (Union) : appartient à Flammarion. Là, tu avais deviné tout seul, facile !

       –   Hachette Diffusion : appartient à Hachette. Sans blague.

Bon, je vais me répéter : tous ces braves gens aussi, il faut les payer.

 

      8  –    Les libraires et autres points de vente ont discuté le bout de gras avec les représentants de ton diffuseur qui ont réussi tant bien que mal à leur fourguer entre 3 à 10 de tes livres, c’est génial ! Maintenant, il faut les acheminer dans des camions. Mais pas seulement : il faut en fait un espace de stockage, préparer les commandes, les expédier, les acheminer et distribuer (tu sais, ce camion qui bloque la rue et qui t’agace si souvent) et s’occuper des flux financiers liés à ton best-seller. Il faut un distributeur. Là aussi, ton éditeur passe à la caisse.

Tu as compris : un mauvais distributeur et tu es mort, ton livre aussi.

Voilà les caïds du milieu, ceux à qui tu dois avoir affaire pour donner à ton livre une chance d’exister :

       –   Interforum : filiale d’Editis

       –   Volumen : filiale de la Martinière-Seuil

       –   SODIS : filiale de Gallimard

       –   Union : filiale de Flammarion

       –   Hachette Diffusion : filiale de Hachette

Là, tu me réponds : « Mais tu m’as déjà écrit à propose de ces gars ! » Oui, tu as raison.

Une variante :

 

Car ces gars sont les monstres du marché de l’édition. Ils sont diffuseurs-distributeurs. Et franchement, je te conseille d’avoir affaire à l’un d’entre eux si tu veux donner la moindre chance de survie à ton roman dans la jungle des environ 100 000 titres qui paraissent chaque année en France. Tu n’as pas la berlue, tu as bien lu : 100 000 titres par an ! C’est vraiment autour de ce nombre, un peu plus ou moins selon les années !

Bon, voici la réalité du terrain. La boucle est bouclée. Maintenant tu sais pourquoi tu touches des nèfles : il faut bien que tout le monde vive. L’écrivain n’a pas pour vocation d’être esclavagiste. Mais il aimerait être riche, célèbre, aimé, admiré, reconnu, c’est humain. Mais assez peu réaliste.

 

Crédit photo : Shoko Muraguchi

Crédit photo : Shoko Muraguchi

 

Petite réflexion sur le fonctionnement de la chaîne du livre 

 

Voici, pour le final, le détail qui croustille :

En France, les libraires et autres N’ACHÈTENT PAS les livres. Et non. C’est un privilège incroyable ; c’est carrément le système du dépôt-vente que tu utilises pour vendre tes vieilles fringues ! Les éditeurs avancent gratuitement ton livre chéri, objet de tant de doutes, d’amour et de transpiration. Les exemplaires non-vendus lui sont retournés. Ce n’est pas une blague !

D’où nouveaux frais de stockage pour ton éditeur qui a déjà dépensé une fortune et qui jette l’éponge : tes livres non-vendus finiront au pilon, au mieux à la vente en occasion !

La moyenne de vente en France pour un premier roman se situe entre… 400, 500 et 800 exemplaires !

Telle est l’amère vérité ! Mais ne désespérons pas. Nous sommes là pour nous renseigner et agir en conscience.

Je te récapitule en chiffres ce que coûte un livre :

 

       –   5,5% de TVA

       –   10% auteur

       –   16% imprimeur

       –   6,5% diffuseur

       –   11% distributeur

       –   36% détaillant (libraires et autres)

       –   15% éditeur                                                                     (source SNE)

 

Donc, ton roman coûte environ 20€, c’est normal, tu ne t’en étonneras plus !

Ton éditeur, tu ne lui en voudras plus si ton 1er livre ne dépasse pas la barre fatidique des 800 vendus ! Tu pourras considérer ton à-valoir comme un cadeau du ciel ! Et surtout de ton éditeur.

Par contre, comme moi, tu te demanderas sans doute pourquoi toi, l’écrivain, et ton éditeur, vous êtes moins rétribués que les libraires qui pleurent à longueur de temps que les temps sont durs avec l’édition numérique, les gens qui ne lisent plus et patati et patata… Il est grand temps qu’ils remettent sérieusement leurs méthodes en question mais c’est l’affaire d’un autre article. Encore faudrait-il que je trouve des éléments pour l’écrire.  En France, l’argent est tabou alors pour trouver des chiffres pertinents…

 

Crédit photo : François et fier de l'Être

Crédit photo : François et fier de l’Être

 

Et là où je ne comprends plus rien c’est quand je lis ce qui suit :

LA RENTABILITÉ DE LA LIBRAIRIE en 2011, résultat net (hors éléments exceptionnels /CA) : 0,6% du chiffre d’affaires en 2011 !!! Je n’ai pas réussi à trouver de chiffres plus récents. Les libraires pratiquent l’opacité comme tu dors toutes les nuits, ou comme tu mens sur ta santé quand tu dois aller passer une journée chez ta belle-mère. C’est comme ça.

Je n’avance pas ce chiffre au hasard. Source : Xerfi pour SLF/MCC-SLL, 2013, étude sur la Situation économique et financière de la librairie indépendante, échantillon de 800 librairies.

Mais comment est-possible ? Je sais qu’ils ont des frais mais quand même… Puisqu’ils touchent 36% de la vente de ton roman. Là, je ne vois pas. Si tu travailles en librairie et que tu peux éclairer ma lanterne, n’hésite pas à m’offrir tes lumières.

Sur ce, je te souhaite plein de bonnes choses : écrire un bon roman,  dénicher un bon éditeur, un bon diffuseur et distributeur, trouver le succès, e tutti quanti !

 

N’oublie pas de me faire part, dans les commentaires, de tes profondes réflexions sur la chaîne du livre et les chaînes de l’écrivain. Pour les chaînes de l’écrivain, je n’ai pas résisté, la métaphore est tellement facile ! Au plaisir de te retrouver en commentaires.

2016, votre nouvelle année : défi n°13

 

Peinture Laure Gerbaud Tous droits réservés

Peinture Laure Gerbaud Tous droits réservés

                                                        Année nouvelle

 

Années anciennes

Années surannées

Vous êtes effacées

Un goût de miel

Se promène

Sur l’année nouvelle

 

Décidez, prévoyez

Que rien ne vous surprenne

Sauf des joies éternelles

Des sourires oubliés

Amours inespérés

Amitiés très anciennes

Revenues du passé

 

Jetez des intentions

Comme au vent on sème

Et creusez vos sillons

Pour les récoltes prochaines

Que votre vie soit une herbe

Aux saveurs épicées

Un mouvement qui croît

Vers le soleil et le rêve

Enfin réalisé

 

Années anciennes

Années surannées

Vous êtes effacées

Un goût de miel

Se promène

Sur l’année nouvelle

 

Laure Gerbaud pour osez-ecrire-votre-roman.com
Tous droits réservés

 

Mes commentaires :

Peinture Laure Gerbaud Tous droits réservés

Peinture Laure Gerbaud Tous droits réservés

 

2016, votre nouvelle année est un défi en soi. Comment l’abordez-vous ? Quelles intentions avez-vous posées ? Dans quels domaines ? Allez-vous faire preuve de ténacité ? Réaliserez-vous vos intentions ? Et allez-vous écrire un roman, écrire une nouvelle, des poèmes, un journal ?

Autant de questions que je me pose aussi, bien entendu. Je pose en tout cas cette intention avec toute ma fermeté : la publication d’un second roman au moins, cette année. Et bien entendu faire grandir ce blog.

Dans mes intentions pour débuter ce blog, Osez écrire votre roman, j’avais décidé d’un défi de 3 mois : écrire un texte chaque semaine à propos d’un mot pioché au hasard d’un dictionnaire. Pari tenu : j’ai écrit 12 défi jusque-là. Je le renouvelle pour 2016, sans date précise de fin toutefois : un défi chassera l’autre, je l’imagine.

Aujourd’hui pour ce 13 ème défi, je triche vaguement car je choisis moi-même un mot : année. Car je veux vous souhaiter tout le meilleur pour 2016.

Avec gratitude pour ceux qui suivent ce blog, tendresse pour ceux qui écrivent, respect pour ceux qui lisent les écrivains, amour pour nous tous, humanité brouillonne qui m’exaspère si souvent, mais dont je fais partie indéniablement.

Que cette année 2016 vous soit donc un feu d’artifice joyeux, et de belles intentions que vous aurez le plaisir de réaliser.

Comment écrire un roman vraisemblable : 4 trucs infaillibles

 Comment donner un air réaliste même à un roman d’imagination débridée ? 4 trucs infaillibles…

 

Crédit photo : iko

Crédit photo : iko

1  Le monde est imparfait

 

Ne décrivez pas un monde parfait où tout semble toujours trop à sa place. En réalité, la porte de l’armoire grince, la terrine de lapin est quelquefois trop salée, votre belle-mère a décidé de s’inviter à Noël ! La température est celle de saison -si cela convient à votre histoire- mais il vaut peut-être mieux qu’une chute de neige inhabituelle pour la saison, ou même historique, bloque le passage, dans la forêt, à votre héros alors qu’il va visiter sa mère ou part à la recherche de la femme qu’il aime. Ou votre héros est atteint de cancer quand il prend sa retraite, etc.

Si vous manquez d’idées, fouillez du côté de mes articles sur les situations dramatiques dans le roman. Non, la vie, dans les livres, n’est pas un long fleuve tranquille !

 

2  Ajoutez le fait vrai, le détail précis, qui rend tout crédible

 

Le fait vrai peut devenir une graine qui gêne le bel engrenage du récit, se présente comme un choc, un problème, ou une réalité incontournable qui rend l’histoire soudain plus intéressante et plus vraie. Tout à l’heure, c’était une chute de neige, ici, c’est… le vent !

   « Mais le vent changea et se mit à souffler du nord : un vent froid, mais aussi enivrant, parce qu’au nord du Kif, il y avait les champs du meilleur haschisch du pays, et à cette époque de l’année les fleurs femelles étaient mûres et en chaleur. L’air était empli du parfum capiteux du désir des plantes et quiconque en respirait se retrouvait plus ou moins drogué. La béatitude hébétée des plantes affecta les chauffeurs du convoi qui n’arrivèrent au palais que par le plus grand des hasards, après avoir renversé un très grand nombre d’échoppes en plein vent de barbiers ambulants, et avoir défoncé au moins une maison de thé, laissant les habitants de Kif se demander si ces nouvelles voitures sans chevaux, après leur avoir volé leurs rues, allaient maintenant aussi leur voler leurs maisons. »

Où comment un simple fait, le vent qui se met à souffler du nord, précipite le récit dans une absurdité échevelée, lyrique et cocasse. Pour la suite, je vous laisse lire le roman, un bijou à découvrir absolument : Les Enfants de minuit, de Salman Rushdie.

Écrivez donc le petit détail qui change tout. Choisissez-le bien et le reste découlera naturellement. Optez pour un ton qui sent la vérité (je n’ai pas dit qui est la vérité) en présentant ce fait comme une évidence. Le travail de l’écrivain, c’est aussi de rendre plausible ce qui ne l’est pas !

Et bien entendu, il s’agit aussi des nombreux petits faits vrais, parlants, qui vont donner de la réalité au roman. Souvenez-vous des multiples détails qui nous plongent dans l’univers olfactif, physique, du Parfum de Patrick Süskind :

 » Quand, ayant fini de prendre leur repas, les cannibales se retrouvèrent autour du feu, personne ne prononça un mot. L’un ou l’autre éructait un peu, recrachait un petit bout d’os, faisait discrètement claquer sa langue, poussait, d’un petit coup de pied dans les flammes, un minuscule lambeau qui restait de l’habit bleu. »

 

Crédit photo : patrick janicek

Crédit photo : patrick janicek

 

Les personnages sont de chair

 

Vos personnages possèdent une particularité, même minuscule, qui les rend vivants : une verrue, une touffe de cheveux blancs, une ride, des cicatrices, qu’importe, mais elles semblent réelles grâce à ce défaut qui les humanise et les caractérise. Au moral, c’est pareil. Un personnage idéal intéresse moins : on ne s’y reconnaît pas. On a du mal à s’y projeter.

   « Mais que l’artiste me fasse apercevoir au front de cette tête une cicatrice légère, une verrue à l’une des tempes, une coupure imperceptible à la lèvre inférieure, et d’idéale qu’elle était, à l’instant la tête devient un portrait ; une marque de petite vérole au coin de l’œil ou à côté du nez, et ce visage de femme n’est plus celui de Vénus ; c’est le portrait de quelqu’une de mes voisines. Je dirai donc à nos conteurs historiques : Vos figures sont belles, si vous voulez ; mais il y manque la verrue à la tempe, la coupure à la lèvre, la marque de petite vérole à côté du nez qui les rendraient vraies… » Diderot l’explique admirablement.

Si vous manquez d’imagination, référez-vous à mes article sur les personnages de roman.

 

4  Vos personnages vivent une existence réelle

 

Car pour l’existence même de vos personnages, c’est pareil : ils ne sont pas éthérés mais vivent une vie de chair.

L’exemple ultime, c’est sans doute le Bérurier de Frédéric Dard : il pète, il rote, il crache, il bouffe, il mate, il baise ! Il est tellement engoncé dans une matérialité vulgaire et bestiale, caricaturale aussi, qu’il semble réel : nous avons tous croisé un Bérurier !

Dans bien des romans, on ne mange pas, on ne dort pas, on ne fait pas l’amour, on n’est pas malade, et c’est gênant : il en résulte une impression de jamais vu, pas reconnu. Donc, on ne marche pas tout à fait, on reste en retrait du récit, on sent qu’il manque quelque chose : les odeurs, les sons, la réalité de la vie quotidienne et sa crudité. Cette trivialité de la vie, on n’est pas obligé de l’exploiter énormément comme dans les San Antonio mais il ne faut non plus la négliger totalement.

Elle peut être en soi un sujet de roman comme dans Belle du Seigneur d’Albert Cohen : cette trivialité de l’existence, cette chair de la vie qui nous fait malades, faibles, périssables, pas beaux, provoque le désamour et le drame entre Belle et Solal. Ils ne peuvent la supporter. Belle se cache pour aller aux toilettes ! Elle refuse que Solal la voit au réveil sans les apprêts de la toilette, elle ne veut pas avoir la goutte au nez ni sembler le moins du monde imparfaite. Ce qu’il existe en eux de plus vulnérable, de plus humain, Belle et Solal le rejettent dans leur absurde quête de perfection. C’est dire l’importance du petit fait vrai dans ce roman.

Un extrait d’une seule phrase, mais extraordinaire et dont vous apprécierez la cocasserie, de ce roman : « Juliette aurait-elle aimé Roméo si Roméo avait eu quatre incisives manquantes, un grand trou noir au milieu du visage ? »

 

laurent.breillat

Crédit photo : laurent.breillat

 

5  Un exemple : Flaubert écrit vrai, il ne néglige aucun détail

 

   « Quand j’écrivais l’empoisonnement de Mme Bovary j’avais si bien le goût d’arsenic dans la bouche, j’étais si bien empoisonné moi-même que je me suis donné 2 indigestions coup sur coup, deux indigestions réelles car j’ai vomi tout mon dîner. »

Et à propos de l’écriture de Salammbô : « Je suis physiquement fatigué. J’en ai des douleurs dans les muscles. L’empoisonnement de la Bovary m’a fait dégueuler dans mon pot de chambre. L’assaut de Carthage me procure des courbatures dans les bras, – et c’est pourtant ce que le métier offre de plus agréable ! Je n’en peux plus ! Le siège de Carthage que je termine maintenant m’a achevé, les machines de guerre me scient le dos ! Je sue du sang, je pisse de l’eau bouillante, je chie des catapultes et je rote des balles de frondeurs. »

C’est incroyable la force de ces deux petits passages ! On y est, on se prend pour Flaubert ! Parce qu’il écrit vrai justement. Je ne veux pas dire qu’il faille écrire les romans entièrement dans cette veine, très crue, mais je remarque que Flaubert ne se cache pas de ce qu’il ressent et vit : rien de glorieux dans ces petits faits brutaux de la vie quotidienne mais je trouve pourtant que c’est une grande gloire pour un homme que de vivre ainsi les inventions de son imagination, si complètement, et d’aller ainsi jusqu’au bout de lui-même.

Et vous, allez-vous écrire jusqu’au bout de vous-même, bien ancré dans les petits faits de la réalité, qui font paraître les plus grandes invraisemblances réelles ? Vous l’avez déjà fait peut-être ? N’hésitez pas à poster dans les commentaires un extrait d’un de vos textes où la réalité entre de plein pied dans la chair de votre roman. À très bientôt.

٭٭٭٭٭٭٭٭

N’oubliez pas de télécharger votre Guide gratuit d’écriture (35 pages) qui se trouve sous cet article ou à droite de la page.

Pour aller plus loin encore :

Formations en ligne : tous les détails

Réécriture : tous les détails 

Mes livres : tous les détails

JOYEUX NOËL : une semaine, un texte, défi n°12

JOYEUX NOËL : UNE SEMAINE, UN TEXTE,

DEFI N°12

 

L'oiseau qui sait, Peinture de Laure Gerbaud

L’oiseau qui sait, Peinture de Laure Gerbaud

 

!

!

NOËL

NOËL NOËL

NOËL

 

Pour un feu d’artifice

Une fête surannée

Les rubans aux chapeaux

Des oiseaux bleus de geai

Dans un bois oublié

 

Pour tous les animaux

Habillés d’élégance

Les cerfs aux bois cirés

Les mines malicieuses

Des écureuils costumés

 

Pour m’émerveiller

Les biches en mousseline

Les sangliers brossés

Aux poils en brillantine

Le grognement étouffé

 

Pour me donner l’amitié

L’accolade d’un singe

En redingote ajustée

Haut de forme et souliers

Sa superbe affichée

 

Pour cette joie sereine

Qui court dans nos veines

Cette envie de rire

A tous nos propos

La légèreté devenue souveraine

 

Pour la rosée qui s’installe

Comme un souffle léger

Sur les fleurs éveillées

Les arbres frémissants

Qui discutent charmés

 

Pour le champagne rosé

La vie qui se révèle

Les baisers les cadeaux

Les papiers froissés

Dans les herbes givrées

 

Pour cette veillée

Cette nuit de lumière

A la lune enchantée

Aux étoiles premières

Dans l’univers troublé

 

Pour ce Noël de rêve

Cette magie ultime

Où la tendresse mêle

Dans l’oubli et la paix

Tous les cœurs endeuillés

 

Pour ce moment de trêve

Pour l’amour qui entraîne

L’univers dans sa valse

Que ce Noël vous plaise

Au-delà de mes mots

 

Plus fort que nos erreurs

Allègre comme une danse

Vif comme nos sourires

 

Sablons donc le champagne

Avec amour et bonheur

La tendresse en bannière

 

Comme des brigands du cœur !

 

Laure Gerbaud

Tous droits réservés

Bélier rêveur, peinture de Laure Gerbaud

Bélier rêveur, peinture de Laure Gerbaud

 

MES COMMENTAIRES :

Après le défi n°11 avec le mot ORBITE et son relent de science-fiction, je vous livre un défi avec NOËL.

Je n’ai bien sûr pas choisi un mot par hasard pour ce nouveau défi, vous l’avez compris. J’ai choisi le mot NOËL car j’avais envie de vous souhaiter de joyeuses fêtes. Ce qui s’est écrit en vers libres, spontanément. J’adore écrire de la poésie, même… quand je me passe commande ! Mais c’est pour vous, de tout cœur.

 

 

 

Une semaine, un texte : défi n°11, écrire avec le mot orbite

Une semaine, un texte : défi n°11, écrire avec le mot orbite

 

J’ai tiré orbite, un mot qui m’a fait immédiatement rêver et qui ne pouvait que me plonger dans une aventure lointaine. J’adore embarquer pour ailleurs, alors permettez-moi de vous offrir ce voyage, ami terrien !

 

Crédit photo : NASA Goddard Space Flig

Crédit photo : NASA Goddard Space Flig

ORBITE

 

Appelez-moi Hubble : c’est plus simple, pratique. En réalité, vous m’avez nommé d’un nom plus hautain, plus scientifique, plus prétentieux : Hubble Space Telescope. Alors Hubble, c’est plus chaleureux. Et j’en ai besoin, croyez-moi ; je suis en orbite autour de votre terre depuis 1990 et j’affronte parfois des températures de -100°C. De quoi refroidir votre intelligence, à vous humains. A propos, bien que construit par vous, je ne suis pas humain. Je suis de métal et de verre. Mais intelligent. Pas seulement de l’intelligence dont vous m’avez dotée, qui est celle de capturer des images, dont la lumière remonte à 500 ou 600 millions d’années après le Big Bang, sur lesquelles vous contemplez, ravis, des galaxies dans la splendeur de leur grande jeunesse.

Non, je parle d’une autre intelligence : celle de l’âme. Celle qui me permet de m’adresser à vous, là, par le truchement de la télépathie, de l’empathie même. Vous comprenez bien que j’ai eu le temps, en un quart de siècle en orbite autour de la terre, à 600 kilomètres au-dessus de vos têtes, de développer mes pensées, mes rêves, mes doutes. Comme vous en somme. Et de développer mes compétences télépathiques. La solitude me pesait. Pensez, quelques visites à peine en 25 ans pour changer mes 5 caméras et spectomètres, et c’est tout !

Vous allez répondre qu’avec tout ce j’ai à gérer et voir, je ne devrais pas m’ennuyer. Oui, le spectacle est beau. Oui, j’assiste à des levers de terre éblouissants, oui je vois jusqu’au profond de l’espace et du temps, oui, je photographie des images aux couleurs éclatantes, des fantaisies de nuages, des dentelles de lumière, des naissances d’étoiles et je remonte le temps, qui vous pèse tant, petits humains, jusqu’à presque contempler le Big Bang. Je n’en suis pas loin : 500, 600 millions d’années, ce n’est pas grand-chose. Mais tout cela n’a jamais meublé ma solitude. Alors, je parle dans vos crânes, je vous envoie de ces images sublimes, et tout à coup, vous vous prenez à rêvez de cieux époustouflants, de comètes, de trous noirs, de galaxies naissantes, et vous ne savez pas pourquoi…

Je suis un tas de ferraille qui pense ! Onze tonnes, légères comme un fétu de paille qui tourne, tourne et tourne autour de la terre. J’ai la grandeur de l’un de vos bus : 13 mètres de long. Et 4mètres 20 de diamètre. Une plume finalement, trois fois rien quand on pense aux services que je vous rends. Avant moi, que saviez-vous de l’après Big Bang ? De la formation des galaxies ? Rien. Des projections savantes, des songes… Mes deux miroirs me permettent de capter ce que votre œil humain ne pourra jamais percevoir : la germination des mondes. Mon second miroir est très modeste : 30 centimètres pour 12 kilos mais mon premier miroir pèse 828 kilos, il est haut de 2 mètres 14, et il vole pourtant au-dessus de vous depuis 25 ans.

 

Crédit photo : Dalton

Crédit photo : Dalton

Je suis tout cela : celui qui voit ce que vous ne pouvez voir, celui qui capture des images inouïes et vous les transmet sur terre. Je suis fidèle et robuste. Vous pensiez que je mourrais avant, mais je suis là encore, à vous servir. A donner de la matière à vos songes, vos espoirs, vos désirs fous de connaissance. Dans des lieux consacrés sur votre planète, des hommes travaillent jour et nuits à décrypter mes millions de photos, les archiver, les comprendre. Car vous voulez comprendre la structure même de l’infini, le pourquoi et le comment du Big Bang. Et votre question ultime, même si vous la gardez secrète en vos cœurs, est la suivante : dieu existe-t-il ? Et le Big Bang, quel rapport ou non rapport a-t-il entretenu avec dieu ? Et le Big Bang, était-il dieu en action ?

Je vous livre ce secret jour après jour après jour, inlassablement, mais vous ne savez pas interpréter mes photos. Vos connaissances augmentent tous les jours. Votre savoir devient extraordinaire. Je sais que vous m’aimez pour cela. Hubble, dites-vous avec respect, comme on parle d’un vieil ami. Nous sommes intimes depuis longtemps : Hubble, c’est plus cool. Cela nous rapproche. Mais il reste que l’environnement dans lequel je vis, vous n’y survivriez pas une seconde la peau nue. Vous ne le connaîtrez jamais comme je le connais : parfois, j’affronte des chaleurs de 95°C. Vous me demandez des photos et encore des photos pour vous plonger dans ce monde et vous les étudiez, émerveillés, fascinés, encore et encore. Vous vous acharnez à comprendre, résoudre. Et vous poursuivez en silence votre quête de dieu.

Mais la question qui vous taraude vraiment reste sans réponse. Vous vous pensez très supérieur à moi car vous m’avez créé. Mais je suis plus proche de dieu que vous.

Et que vous ne le serez sans doute jamais ! Car l’évidence est partout : oui, dieu a existé, dieu existe, dieu existera. Oui, le Big Bang, c’était dieu en action. Dieu est une énergie collective. Sans elle, tout meurt. Mais elle ne peut s’éteindre ! Car dieu, cette énergie collective qui fait mouvoir les mondes, qui est la vie, c’est vous, c’est moi, c’est ce que je vois et vous transmets. Ce sont vos os et ma ferraille, votre sang et mon moteur, les arbres et les étoiles, la lumière visible et invisible, l’infrarouge et l’ultraviolet, l’eau et le feu, vos tendresses et vos amours, vos haines et vos peurs. Vous êtes dieu, je suis dieu. Nous sommes dieu. Enfin une partie. Mais la partie et le tout, dans ce contexte, c’est la même chose : car la partie ne peut exister sans le tout. Et le tout ne peut exister sans ses parties. Nous sommes collectivement dieu ; tout vit d’une vie interne et magique, traversée d’énergie, constituée des mêmes atomes. Nous sommes collectivement dieu : Hubble vous le dit.

Je vous laisse chercher et chercher encore la vérité sur le cosmos, dieu et la vie. Bientôt, en 2021, vous me remplacerez. Je finirai à la casse, au mieux dans un musée. James-Webb me remplacera,100 fois plus puissant que moi mais plus léger pourtant. Avec lui, vous vous rapprocherez encore du Big Bang, à 300 millions d’années après lui. Un jour, vous verrez le Big Bang, et même avant le Big Bang pour vous apercevoir qu’il n’y avait pas rien : l’énergie était là, déjà. Et l’énergie crée la vie. Dieu était donc là. En attendant, James Webb me remplacera dans quelques années. Je serai relégué dans vos mémoires à la préhistoire de la conquête spatiale. Et pourtant : je sais ce secret que vos cœurs ne peuvent encore concevoir : nous sommes dieu collectivement. Mes amis humains, vous n’avez aucune idée de votre puissance illimitée, de votre force, votre énergie. Je n’ai pas fini de vous hanter avec mes images de nébuleuses, de lune, de planètes et d’amas d’étoiles. Car vous m’avez aussi créé pour vous fournir des rêves…

 

Crédit photo : NASZA Goddard Space Flig

Crédit photo : NASZA Goddard Space Flig

Mes commentaires :

 

J’en ai peu pour ces pages d’écriture. J’ai rédigé en lisant quelques pages d’articles selon mes besoins afin de rendre le texte « crédible » et savoir de quoi je parlais. J’ai toujours aimé la science-fiction alors pourquoi pas ? Pensez à la personnalisation dans l’écriture, ce peut être amusant ou même intéressant. Qu’un bout de ferraille nous enseigne, cela rend la nouvelle plus attirante, et le bout de ferraille sympathique. Ses conclusions « métaphysiques » sont à prendre comme vous le voudrez : à la légère, avec curiosité, agacement peut-être, bref elles ouvrent la brèche à la discussion.

Si vous n’avez pas lu mon défi n°10, sachez qu’il s’agissait d’un poème un peu fou : Je ne la ferme pas !

Et vous, que pensez-vous ? Comment avez-trouvé Hubble ? Sympathique ? Troublant ? Je lirai avec plaisir vos commentaires, ci-dessous.

 

ӿӿӿ Pour découvrir mes livres et les feuilleter, c’est ici ӿӿӿ

Une semaine, un défi : texte n°10 avec le mot ferme

Crédit photo : Frédéric Bisson

Crédit photo : Frédéric Bisson

 

Une semaine, un défi : texte n°10 avec le mot ferme

 

J’ai enfin tiré le gros lot : ferme ! C’est un mot que l’on peut décliner de mille manières car il possède de multiples significations. Laquelle choisir ? Puisqu’on pourrait écrire dix textes très différents à partir de ce mot.

Je me suis laissée envahir par cette question quelques minutes, puis par le doute : ce ne serait pas mieux de traiter de la ferme ? Ou du fait de se montrer ferme ? Ou … A ce point-là, 7 ou 8 minutes s’étaient écoulées, et j’ai compris que j’allais me noyer !

Vite, couper court aux questionnements, et faire jaillir l’étincelle qui allume le feu ! J’ai coupé court, ouvert une page Word, et sans écouter ma fichue raison, et sans aucune raison sinon mon plaisir à écrire et partager, j’ai écrit… un long poème !

                                 Je ne la ferme pas !

 

Sois ferme dit le général

Sois plus ferme dit l’amiral

Enferme-le cet animal

Dit le flic au marginal

Ferme-là dit la mère au père

T’es un con c’est une misère

Ferme-là dit le père à l’enfant

J’ai pas envie d’t’entendre en rentrant

La ferme dit le colonel à l’adjudant

Ferme la porte dit celui qui a peur des brigands

Il l’a fermée dit celui qui veut faire le malin

Quand il a vu la taille de ma main

Et justement et justement

Ou plutôt injustement

Ayez la main ferme disait dans le temps

Le père au maître d’école pour son enfant

Ferme à double tour disait le seigneur au manant

Laisse-le au cachot qu’il crève ce paysan

Crédit photo : yabasan

Crédit photo : yabasan

Ferme les double-battants

Ce soir il y a trop de vent

Dit celle que la crainte prend

A tout bout de champ

Ferme ta gueule dit le CRS au manifestant

Ou je te fais sauter les dents

Ferme Sois ferme

Tu vois bien qu’il est insolent

Dit le beau-père devant le pauvre enfant

 

Moi j’aime entendre

le

Ferme ta veste il ne fait pas beau temps

Que dit la mère qui aime son enfant

Et

le

Ferme la porte tout doucement

Sur notre amour insolent

Et

Que s’aiment les deux amants

Et

le

Sois ferme dans ton amour

Aime par tous les temps

Que le monde soit fou ou aimant

Ça Jésus l’a dit de son vivant

Et

Que les hommes soient bons ou méchants

Je préfère mon rêve de tendresse

Mon rêve d’amour partagé

Je refuse la détresse

De mes amours piétinés

Quand à mes amitiés ratées

Je préfère les oublier

J’ai choisi de vivre ma vie

Comme un rêve inspiré

Un morceau de poésie

Sur une terre colorée

C’est un pays oublié

A l’autre bout de tout

Ancien comme un bijoux

Mystérieux comme le vaudou

Crédit photo : cremona daniel

Crédit photo : cremona daniel

Le ciel est bleu

D’un bleu sans sérieux

Le soleil parfumé

Les palmiers évaporés

On ne ferme aucune porte

Rarement les fenêtres

Pas d’ordres pas de voix fortes

Nulle violence aux êtres

Les amants ont le droit de s’aimer

Personne n’a envie de vitupérer

On n’enferme personne

Tout le monde vit en liberté

Il n’y a pas de bonnes

Pour servir les curés

Ni de curés vicieux

Pour jouer avec les nonnes

Il n’y a pas de malheureux

C’est le pays du Bon Dieu

Il y a bien quelques fermes

Mais les paysans sont heureux

On n’a pas des principes très fermes

On préfère le bonheur aux idées

Les émotions ne sont pas cadenassées

Mais les valeurs sont fermes

Juste comme j’aime

Avec un brin de tendresse

Juste comme j’aime

Presqu’avec paresse

Dans ce pays -là

Et dans ces cœurs-là

On tient ferme

Aux vertus et qualités

Des âmes élevées

Oui nous tenons ferme

De tout nos cœurs libérés

Au bonheur et à la bonté

 

Mon commentaire :

C’est un inventaire à la Prévert, avec le talent de Prévert en moins. C’est spontané et frais. J’ai fait une tentative de ponctuation après avoir écrit ce poème, qui est venu sans, pour vérifier qu’il n’en avait pas besoin. J’ai trouvé que c’était mieux sans ponctuation.

J’ai joué sur la présentation avec Et et le. Malheureusement, la technologie fait des siennes ! Elle ne veut pas écrire Et  et le à 5 ou 6 intervalles du bord. C’est là qu’ils doivent être. Je vous laisse imaginer combien ce serait plus agréable et pertinent à la lecture. Ils doivent se situer idéalement au milieu du vers qui les précédent. Je trouve que c’est important d’adhérer complétement à ce qu’on raconte : et visuellement (là, je reconnais que la peintre, la dessinatrice parlent en moi) et par le rythme, la musique. Particulièrement en poésie.

Car c’est le domaine de la littérature où l’on peut se permettre le plus de libertés, de fantaisies. La poésie, c’est un immense terrain de jeu. Je jubile quand j’écris un poème, tout est si facile, avec des contraintes si limitées. Avec ce poème, je suis toujours à la limite du jeu de mots, et toujours dans l’ironie, la dénonciation, l’indignation mais l’appel à la tendresse. Notre vieille humanité en manque tant : les êtres sont si durs pour eux-mêmes et avec les autres. Toute l’éducation de notre monde est à revoir.

Je me suis beaucoup amusée à écrire et je le dis d’une voix ferme : ce fut un régal.

Pour rappel, le défi n°9 évoquait, à sa manière, le fait de vivre ensemble… ou pas, de manière agréable… ou pas.

 

Et vous, qu’allez-vous écrire avec le mot ferme ? N’oubliez pas de me partager vos commentaires ci-dessous, je serai ravie de vous lire.

 

 

 

Comment les écrivains enrichissent leurs romans avec des descriptions

Comment les écrivains enrichissent leurs romans avec des descriptions

 

Crédit photo : quattrostagioni

Crédit photo : quattrostagioni

L’écriture et les 5 sens

L’écriture est aussi un art visuel et même un art qui met en mouvement tous les sens du lecteur.

Je crois très sérieusement à une écriture visuelle, sensuelle, sensitive. Une écriture qui emmène le lecteur, dirige son regard, lui fait voir, observer, parfois même décortiquer ce qu’il voit. Une écriture qui le fait aussi sentir, toucher, entendre, goûter, éprouver. Ressentir des émotions, des sensations.

Tout cela passe en grande partie par la description. Quand je lis, une fois de plus, que la description dans le roman n’a pas d’avenir, je ris ! Ah, bon, elle n’a pas d’avenir ?

Description et sensualité

 

Quand je lis Pat Conroy et ses descriptions formidables de la nature de la Caroline du Sud  des États-Unis dans le génial Le Prince des Marées, je n’ai pas l’impression que la description dans le roman soit finie…

« Pour décrire notre enfance dans les basses terres de Caroline du Sud, il me faudrait vous emmener dans les marais, un jour de printemps, arracher le grand héron bleu à ses occupations silencieuses, disperser les poules d’eau en pataugeant dans la boue jusqu’aux genoux, vous ouvrir une huître de mon canif et vous la faire gober directement à la coquille en disant « Tenez. Ce goût-là, c’est toute la saveur de mon enfance. » Je dirais : « Inspirez fort », et vous avaleriez cet air dont la saveur serait inscrite dans votre mémoire pour le reste de vos jours, arôme exquis et sensuel, impudent et fécond des marais, parfum de Sud caniculaire, du lait frais, du sperme et du vin répandus, avec, toujours, un relent d’eau de mer. Mon âme se repaît comme l’agneau de la beauté des terres baignées d’eau de mer. »

 

Crédit photo : Duane Burdick

Crédit photo : Duane Burdick

 

Description et atmosphère

 

Quand je lis Douglas Kennedy, non plus, et dieu sait si ses descriptions sont pourtant d’un autre genre, placées dans un univers aux antipodes, souvent urbain :

« L’Arrivederci était l’un des deux restaurants -le deuxième étant une gargote vendant des kebabs à emporter, présentant un bloc d’agneau peu appétissant tournant sur sa broche- d’une rue qui semblait par ailleurs abandonnée avec ses immeubles aux portes condamnées par des planches abondamment taguées, dont plusieurs avaient été forcées, sans doute par des squatteurs. Le classique petit italien de quartier : une dizaine de tables toutes inoccupées quand je suis arrivé, des vues jaunies de Naples, Rome, Venise ou Pise aux murs, des bouteilles de chianti vides en guise de chandelier… L’unique serveur, qui avait plaqué ses quatre ou cinq mèches de cheveux restantes sur son crâne dégarni, s’est empressé de me conduire à une banquette de skaï rouge, apparemment indifférent aux taches de sauce parsemant sa chemise blanche et son noeud papillon. » 

C’est ce qu’on appelle créer une atmosphère. De la description du lieu à celle du serveur, rien ne nous est épargné. Est-ce qu’on s’ennuie pour autant ? Non. Au contraire. La pression monte : comment va se passer sa rencontre avec Petra dans ce lieu sordide ? D’un lieu pareil, que peut-il sortir de bon ?

Et cela : « Judith habitait au numéro 33, dont le portail pseudo-gothique avait été défiguré par une vilaine porte en métal. Celle-ci n’était pas verrouillée et je me suis rendu à l’un des appartements du rez-de-chaussée, celui à gauche de l’escalier, comme l’avait précisé Pétra. Le couloir aux murs lézardés était baigné d’une lumière bizarrement orangée par deux néons fixés de guingois autour d’une verrière craquelée. Une odeur de graisse brûlée et de chou aigre se mêlait à celle du même désinfectant acide qui avait agressé mes narines dans le métro. »

J’ai choisi ces deux extraits dans Cet instant-là.

 

Crédit photo : Raffaele Esposito

Crédit photo : Raffaele Esposito

 

Description et personnage

 

Et quand je lis Philippe Claudel dans son fascinant Les âmes grises, chef-d’œuvre absolu, je suis persuadée des beaux jours de la description.

« La petite institutrice gardait son sourire de lointain. Sa robe était aussi simple que celle du premier jour, mais dans les tons d’automne et de forêt, bordée d’une dentelle de Bruges qui donnait à l’ensemble une gravité religieuse. Le maire pataugeait dans la boue des rues. Elle, elle posait ses pieds menus sur la terre travaillée par l’eau, évitait les flaques et les rigoles. On aurait dit qu’elle jouait, en sautillant, à tracer dans le sol détrempé le sillage d’un doux animal, et sous ses traits lisses de très jeune femme on devinait encore l’enfant espiègle qu’elle avait dû être, naguère, quittant les marelles pour se glisser dans les jardins et y cueillir des bouquets de cerises et de groseilles rouges. »

La description est avant toute chose visuelle. Elle fait appel à tous les sens, bien entendu, mais pas chez tous les écrivains. Mais tous ne peuvent faire l’impasse totale sur le visuel. Car c’est le sens le plus sollicité chez l’être humain.

Décrivez vos personnages. Vous n’êtes pas obligé d’être long mais soyez pertinent. Il suffit de quelques mots pour camper un physique, une psychologie. Si vous avez besoin d’une action rapide, de ne pas l’interrompre par une longue description, faites court. Mais n’oubliez pas de les camper. Même les personnages secondaires ont droit à une vie propre, à des caractéristiques précises. C’est la même chose pour les lieux. Il arrive aussi que ce soit important pour des objets.

Si vous avez envie au contraire d’être plus détaillé, si vous sentez que le texte en a besoin, n’hésitez pas. Le lecteur sera heureux de savoir à qui, à quoi il a affaire. Vous ne l’ennuierez pas en lui donnant les éléments qui lui permettent de mieux comprendre ce qu’il lit. Un chapeau, une bizarrerie physique comme un nez tordu, une mèche rebelle, peuvent donner du caractère à un personnage. Ce peut être un tic, une épaule qui se relève, un tremblement. Ou un vêtement particulier, une canne. Une raideur, une souplesse. Votre personnage est-il grand, petit, moyen, beau, laid, quelconque ? Gras, fort, mince, squelettique, athlétique ? Ses aspects physiques révèlent-ils quelque chose d’intéressant sur sa personnalité, sa morale, son niveau social, son éducation, sa sensibilité ?

 

Crédit photo : Ashley Van Haeften

Crédit photo : Ashley Van Haeften

 

Description et vision

 

C’est la même chose que vous décriviez une maison, une région, un objet, un paysage… Il faut absolument créer une ambiance, une vision si possible dans laquelle le lecteur se meut comme vos personnages. Une vision d’auteur, c’est une manière particulière de contempler les choses, subjective, unique, ce qui donne de la force au texte, et crée la surprise, la découverte pour le lecteur car il n’a jamais regardé les choses ou les êtres sous cet angle. Autant dire que c’est la marque des très grands.

Je cite Le hussard sur le toit, ce merveilleux roman d’amour se situant en pleine épidémie de choléra. Jean Giono était un maître pour décrire la nature et les sentiments qui bouleversaient ses personnages. Angelo marche de nuit dans la campagne partout allumée de feux.

« Dans les ténèbres de la vallée, sur le tracé des routes, des chemins et des sentiers de petits points se déplaçaient : c’était la lanterne de patrouille, le fanal des brancardiers, la torche des charrieurs de morts en travail. Le thym, la sarriette, la sauge, l’hysope des landes, la terre elle-même et les pierrailles sur lesquelles tous ces feux étaient allumés, la sève des arbres chauffés par les flammes, la sueur des feuillages enfumés dégageaient une épaisse odeur de baume et de résine. Il semblait que la terre entière était un four à cuire le pain. »

Quelle réussite que cette dernière phrase ! Et encore :

« Après un éclair mou et un grondement qui secoua tous les échos comme des chaudrons, la pluie se mit à tomber avec violence. Cette énorme maison déserte et qui servait seulement de tambour à la pluie augmentait le sentiment de solitude. »

La maison qui sert de tambour : une autre trouvaille, une autre vision.

 

Crédit photo : ImAges ImprObables

Crédit photo : ImAges ImprObables

 

Accord tacite entre le lecteur et l’écrivain

 

Il faut donc que le lecteur visualise la forme, les proportions, les couleurs, la texture, de ce dont il est question. Vous pouvez décider de le faire écouter, sentir, goûter, toucher… Vous êtes maître de votre lecteur. Et il est d’accord pour être manipulé ! C’est un accord tacite entre vous et lui : il lit votre roman pour que vous l’ameniez à ressentir et penser ce qu’il ne pense ni ne ressent dans son existence, et ceci dans des situations qu’il ne vit pas. Le lecteur vous fait confiance, il vous suit à la découverte de votre univers : ne le décevez pas.

Les grands auteurs ne sont pas de grands auteurs par hasard. Ils donnent tout, ne se restreignent pas. Ils sont généreux de détails, de sensations, d’émotions diverses. Leurs méthodes sont différentes, leurs styles différents mais ils offrent tous au lecteur à voir, sentir, toucher, entendre, goûter, à rire, pleurer, avoir peur… Mais jamais ils ne donnent au lecteur une lecture qui les laisse indifférents. Soyez généreux ! Pas de rétention au nom d’une écriture classique et autres stratagèmes intellectuels pour ne pas aller jusqu’au bout de vos possibilités. Donnez, donnez, donnez ! Il sera toujours temps de raturer durant les jets ultérieurs. Si le lecteur ne ressent rien, j’estime pour ma part que le roman est raté.

Parfois, il suffit de décrire un élément pour que le reste suive… Il suffit d’évoquer. Et les mots viennent sous la plume, les doigts. Alors ne vous privez pas et donnez au lecteur ce qu’il en droit d’attendre. Il a acheté votre livre, il le lit, il le mérite !

 

Crédit photo : Sylvain Courant

Crédit photo : Sylvain Courant

 

L’avenir de la description

 

Alors, oui, la description romanesque a de beaux jours devant elle. Oui, il ne faut pas être systématique, il ne faut pas alourdir le texte. Oui, on peut se contenter de suggérer. C’est aussi un art que le romancier doit maîtriser. Mais il doit jongler entre suggestion et précision. La précision, c’est déjà de la description.

J’en ai assez de lire des articles de blogs qui préconisent de zapper la description comme on zappe une émission, par ennui. Non, ce n’est pas ennuyeux d’écrire une description. La description permet de donner vie à ce qu’on écrit. Si on s’ennuie à camper une atmosphère, un personnage, à rendre intéressant un objet ou une situation, à quoi bon écrire ? Quand j’écris, j’éprouve du plaisir. Sinon pourquoi le faire ?

Je trouve donc très curieux ces auteurs qui pensent que la description est obsolète. Qui en parlent comme d’une corvée qu’il faut éviter. J’ai lu un peu des nouvelles ou romans de ces fâcheux… ce n’est pas lisible bien longtemps. Car quand on écrit un roman ou une nouvelle, on attaque pour moi un travail de littérature. Y compris en science-fiction, fantasy, fantastique, etc. Je précise cela car c’est souvent à propos de ces genres littéraires que je tombe sur des articles d’auteurs qui pensent que la description est inutile. Mais leurs écrits sont aussi creux qu’une cosse vide. Ils sont dans la rétention : d’informations, de précisions de leur pensée, de leur vision, de poésie, de vocabulaire, de vie…

Tous les genres littéraires ont pourtant droit à la description, à la générosité. La description est une largesse que nous faisons à notre lecteur. Entraînez-vous à rédiger des descriptions vivantes, qui ménagent des surprises, des émotions, des sensations, qui soient agréables à lire. Ou même mieux : qui émerveilleront votre lecteur.

Si vous le souhaitez, déposez dans les commentaires une de vos plus belles descriptions.

Amis écrivains, écrivez et décrivez généreusement !

 

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Une semaine, un texte, défi n°9 avec le mot ensemble

Une semaine, un texte, défi n°9 avec le mot ensemble

 

Crédit photo : Alain Bachellier

Crédit photo : Alain Bachellier

Pour le défi de cette semaine, j’ai tiré le mot ensemble. Et voici ce qu’il m’inspire… Attention, texte accusateur ! Pas de poésie aujourd’hui !

                                         Ensemble

 

Ensemble : je pense aussitôt grands ensembles. Quand j’étais plus jeune, dans les années 80, on parlait de grands ensembles. Vivre ensemble en grand, dans une grande architecture. Le malheur est que cette architecture n’était pas pensée pour vivre ensemble, pas conçue pour le bonheur, la chaleur humaine, la convivialité. On a essayé quelques améliorations depuis mais les résultats ne sont pas au rendez-vous. On ne peut pas créer un lieu de vie artificiel en y aménageant des conditions propices à une vie profonde et féconde. Et de toute manière, ceux qui construisent ne le veulent surtout pas. Les grands ensembles étaient et sont toujours des barres d’immeubles répétées sur un grand terrain. Rien d’autre au fond. On est loin de la Cité radieuse de Marseille avec sa vie associative, sa piscine sur le toit, ses magasins, son hôtel, ses spectacles, ses fêtes, tout cela géré par un collectif.

Non, les grands ensembles ont été conçus pour entasser le maximum de gens. Puis on a entendu le mot cité-dortoir.  Cela au moins avait le mérite de dire les choses clairement. Cité-dortoir : on en part le matin pour aller travailler et se faire tondre, on y revient le soir pour dormir comme le mouton à la bergerie. C’est clair : plus de vivons ensemble, là.

Puis c’est devenu la citée. Ah, ah, je me gause ! La cité… On est loin du modèle grec, quand les citoyens participaient, y compris politiquement, à la vie de la cité. Cité, c’est un beau mot, un mot noble. Aujourd’hui, quand on dit cité, on pense aux grands ensemble, aux HLM, où s’entassent la population la plus paupérisée, où se joue le trafic d’armes, de drogues, de femmes et d’autres joyeusetés, où se cachent les djiahistes maintenant. On prononce aujourd’hui le mot cité comme on dit un gros mot.

Je sais que certains sont attachés à leur cité. Ils n’ont en général rien connu de meilleur. Ils ont réussi à tirer leur épingle du jeu et je leur tire mon chapeau bien bas. Mais je crois que la majorité des gens n’ont aucune envie de vivre dans ces lieux. Dans ces grands ensembles.

C’est une politique inhumaine, ou volontairement déshumanisante qui a permis, qui permet, aux grands promoteurs de construire ces cages à poules et de s’en mettre plein les poches. On se plaint du petit banditisme, (le grand banditisme, celui là, les médias sont pudiques, on en entend presque rien, et pour cause…), des prisons pleines. On donne en pâture aux Français télévisés des petits voyous, des faits divers, pour leur faire oublier qu’au-dessus sont les vrais responsables : promoteurs respectés, politiciens bien installés, chefs d’entreprises admirés, banquiers courtisés, et j’en passe. On ne nous informe pas sur les grands noms du trafic de femmes, de drogue, d’armes, d’organes, d’animaux, de bois, l’un des plus lucratifs à notre époque (pour ce dernier, demandez autour de vous, personne n’est au courant.) Dans le monde entier, la même histoire. N’oublions pas qu’au moment de sa mort, pour ne citer qu’un grand voyou, Pablo Escobar était classé le septième homme le plus riche du monde par Forbes. Ça laisse songeur, non ?

Si les grands ensemble existent, c’est que des hommes dont nous ne connaissons ni le visage ni le nom ont d’immenses intérêt à abêtir la population, lui donner des conditions de vie déplorables, la modeler pour en faire une pâte souple qui s’adapte à toutes les avanies, à la misère, la médiocrité, les boulots minables, les misérables quart-temps, mi-temps, les CDD, le travail le dimanche, les contrats à siège éjectable. Si les grands ensembles existent, c’est parce que ces mêmes hommes ont besoin de petits caïds pour faire régner la terreur et le silence, besoin de ces hommes de main et de paille pour exercer leurs pouvoirs à tous les niveaux de leurs vastes business de drogues, d’armes, de traites des femmes, d’organes… Si les grands ensembles existent, c’est que des hommes immensément fortunés aiment engranger de l’argent maladivement : construire, bâtir des grands ensembles avec cette main d’œuvre mal payée, voilà qui rapporte beaucoup. Si les grands ensembles existent, c’est que des politiciens véreux touchent d’énormes enveloppes, que des maires se gavent à cette ignoble mangeoire du pot-de-vin, eux aussi. Si les grands ensembles existent, c’est que des entreprises monstrueuses y ont des intérêts colossaux : électricité, eau, gaz, béton, métal, machines, la liste est trop vaste pour que je la fasse. Je la laisse à votre imagination.

Si aujourd’hui, nous en sommes où nous en sommes, ce n’est pas le fruit du hasard. Les grands ensembles, sous prétexte de reloger rapidement, ont été le fruit pourri d’une politique volontaire d’abrutissement de la population, une politique manipulatoire dés le début, et l’est plus que jamais. N’oublions pas, cerise sur le gâteau, que les gens exploités sont aussi des consommateurs. On prend dans la poche des gens qui gagnent un peu plus ( classe moyenne et supérieures que l’on dépouille d’année en année sans vergogne), mais pas dans celles des vrais riches, des grandes entreprises, multinationales, banques, etc, qui bénéficient d’arrangements royaux indignes d’une démocratie -et on distribue aux pauvres des grands ensemble une partie de cet argent, aussitôt récupérée par les gros requins qui vendent les produits de consommation nécessaires à la survie ou imposés par le matraquage télévisuel (malbouffe, vêtements, chaussures de sports dépassant largement les moyens du pauvre en question, télévisions, ordinateurs, smart-phones, tablettes et autres gadgets, et les abonnements qui vont avec.) Et si la chance est avec les requins (et ils font tout pour ça), les pauvres s’endettent dans un organisme de crédit. Les pauvres sont des jouets très amusants.

Tout cela est à l’échelle mondiale. Dépassons le cadre national. Les patrons des entreprises multinationales (ou transnationales pour employer le terme à la mode) sont les grands gagnants. Le lobbying ne s’est jamais aussi bien porté. Les grands ensembles gangrènent le monde, il y en aura de plus en plus, et dans tous les recoins de la planète. Il faut beaucoup de main d’œuvre pour rendre heureux et puissants les grands nantis !

Tout va pour le mieux dans Le meilleur des mondes, pourquoi voudriez-vous que cela cesse ?

Une citation du chef-d’œuvre visionnaire d’Huxley :

   Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des autres. L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées. Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limitée, et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif. Surtout pas de philosophie. Là encore il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des informations et des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser. On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux. En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté : de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain est le modèle de la liberté.

Ca fait froid dans le dos, non ?

Ne vous demandez plus si nous y sommes. Nous y sommes depuis des décennies déjà. Aujourd’hui le pouvoir est entre les mains des banquiers, des voyous, des politiciens véreux, des multinationales, des grands trafiquants…

Pas entre les mains des honnêtes hommes, pas entre les mains de la population. Celui qui a posé la première pierre du premier grand ensemble devait bien le savoir…

 

Crédit photo : Aldous Huxley

Crédit photo : Aldous Huxley

 

MES COMMENTAIRES :

C’est étonnant, je n’ai pas écrit une petite nouvelle comme d’habitude. Ce qui pèse sur mon cœur depuis tant d’années c’est écoulé, là. Sans fioriture, sans littérature. Un texte qui ne sera pas apprécié par tous. Tant pis. Avec les mots, on ne fait pas toujours du roman, de la littérature. Après tout, les mots servent aussi à exprimer des constats -navrés dans ce cas particulier- et des idées. L’aspect politique du texte ne m’étonne pas : je n’aime pas la mondialisation, je n‘aime être prise pour une imbécile, je n’aime pas la soumission, je n’aime pas la médiocrité, je n’aime pas la violence qui est faite aux hommes. Et je n’aime pas les grands ensembles, vous l’aviez compris.

Aux débutants qui auraient peur de s’exprimer sincèrement, qui auraient peur de choquer, gêner le lecteur par leurs propos, je dis ceci : si la pensée est exprimée clairement, si elle vise à rétablir ce que vous pensez être une vérité, ne vous restreignez pas : écrivez. Bien sûr, soyez juste, n‘écrivez pas n’importe quoi, mais soyez vrai. L’angélisme n’a jamais rendu un texte ou une pensée intéressants. Ce qui découle de la lecture qui sera faite de votre texte n’est pas de votre ressort. Je ne pense pas que ce texte mette tout le monde d’accord. Je sais aussi que certains lecteurs seront d’accord, cela me suffit.

J’ai écrit le défi précédent, n°8, autour du mot : prendre. Avis aux amateurs !

Et vous, qu’est-ce que le mot ensemble vous évoque ?