Aujourd’hui, un article pour les néophytes. Ceux qui ont déjà été édités à compte d’éditeur me pardonneront ; nous allons explorer :
La chaîne du livre et… les chaînes de l’écrivain
La question cruciale pour l’avenir du livre papier, en concurrence avec le livre numérique, est : comment baisser les coûts d’édition ? Je ne peux pas y répondre. Et personne ne semble en mesure de le faire. Même le bois devient plus rare et plus cher d’année en année. Or il faut du bois pour fabriquer du papier… Par contre je peux te renseigner sur cette question :
Pourquoi les livres coûtent-ils si chers ?
En moyenne, un roman fraichement sorti coûte 20€, un peu plus, un peu moins… Pour la bourse d’un Français moyen, c’est cher. C’est un point de vue normal, rien à y redire.
Maintenant, voyons le point de vue de celui qui vend le livre, c’est-à-dire l’éditeur.
Je vais t’étonner : non, l’éditeur ne se remplit pas la panse comme un porc, non, ce n’est pas banquet de Noël tous les jours ! Parce qu’avant de vendre un livre, il existe toute une succession d’actes qui lui coûtent déjà de l’argent. C’est ce qu’on appelle, sans poésie aucune, la chaîne du livre.
Je sais, ça ne fait pas glamour. Quand on a mis le dernier point à son roman, qu’on a le désir brûlant qu’il se vende à des millions d’exemplaires, ça fatigue d’entendre parler de la chaîne du livre. Et pourtant…
LA CHAÎNE DU LIVRE
C’est un long processus dont je vais te décrire les étapes :
1 – Toi, l’écrivain, tu es payé le premier si ton éditeur est digne de ce nom, évidemment. Tu as écrit le livre, tu as sué sang et eau, tu es fier, heureux comme Artaban d’avoir été élu : tu as signé ton contrat, tu vas être publié ! Et tu veux être rémunéré, c’est logique.
Tu vas être très, très mal payé, tu le sais déjà : 10% hors taxes du prix de vente de ton livre, une misère. Il faudra pourtant t’en contenter. Certains éditeurs poussent la malice jusqu’à te donner seulement 8%. Mais si tu es une star, tu pourras monter jusqu’à 12%, voire 15%. Il se murmure que Jean d’Ormesson parvient à négocier du 20%. Mais je ne sais pas si c’est vrai. Bon, je résume : 10%. Voilà pourquoi tu es concerné par la chaîne du livre. Parlons boutique, parlons gros sous.
2 – Ton livre est à la maison d’édition. Il passe entre les mains du correcteur et vous mettez au point, ensemble, le texte définitif. Le correcteur coûte de l’argent à ta maison. Pour le moment, ton éditeur travaille donc à perte. Il te fait confiance, confiance à ton livre aussi : il mise sur la vente de ton livre. L’édition, c’est un peu le Loto, surtout avec un nouvel écrivain, un qui n’a jamais édité. C’est peut-être ton cas.
3 – Tu es d’accord avec le correcteur. Tu signes ton B.A.T (bon à tirer pour les novices ; après tu ne peux plus revenir en arrière.) Le livre est mis en page, bouclé pour l’imprimeur sur un logiciel spécifique. Là aussi, un graphiste travaille et il faut qu’il soit rémunéré par l’imprimeur, ce qui se répercute sur le prix de l’impression.
4 – L’imprimeur tire ton livre. Ça aussi, ça coûte. Pas tellement plus si on tire beaucoup d’exemplaires. Mais bon, il faut passer à la caisse. L’imprimeur a besoin de manger, comme toi et moi.
5 – Ah, oui, entre-temps, ton éditeur a commencé à faire travailler ton attachée de presse (j’écris attachée, tu l’as sûrement noté, parce que dans le milieu, il y a 100 attachées pour 1 attaché. Ne me demande pas pourquoi, je n’en sais rien.)
Cette attachée de presse peut travailler dans la maison d’édition même ou en free-lance. Elle rédige un dossier de presse pour présenter ton livre et vanter ses mérites (si, si) afin de l’envoyer avec un exemplaire de ton livre, qu’on appelle exemplaire de presse, aux journalistes qu’elle a sélectionnés. Cette attachée est en général mise en place pour 6 mois durant lesquels elle fait ta promo, te trouves des interviews, etc. Bon : il faut la payer.
Donc si tu comptes bien, ton éditeur rémunère :
- toi, l’écrivain
- le correcteur (la plupart du temps une correctrice, du reste)
- le graphiste (il faut une couverture et une 4ème de couv)
- l’imprimeur
- l’attachée de presse
- et distribue tes livres gratuitement. Sans avoir touché un seul sou sur la vente de tes livres.
Et ce n’est pas fini :
6 – Il faut maintenant penser à la mise en place du livre, c’est le terme du jargon : autrement dit, envoyer 15 ou 20 représentants à travers la France pour rencontrer les libraires (et autres patrons des points de vente) et leur proposer ton livre (pour ton plus grand bien). Et discuter de sa mise en valeur. Ou pas…
Si tu es un roi de l’édition, tu as droit aux têtes de gondole – et tu ne lis pas cet article car ça fait longtemps que tu n’as plus besoin de mon blog !
Mais si, comme moi, tu es un modeste artisan de la littérature, les représentants auront déjà du mal à placer 1000 ou 1500 de ton roman pour commencer ! Non, ne pleure pas, c’est la triste réalité !
Comment ça fonctionne ? Les toutes petites maisons d’édition font le démarchage elles-mêmes. C’est pourquoi tu n’es vendu qu’à Palavas-les-Flots ou dans le village natal de ton arrière grand-mère quand tu y habites.
7 – Si ta maison d’édition est moyenne ou grosse, c’est le jackpot ! Tu as droit à un vrai diffuseur. Car ta maison d’édition peut alors payer un diffuseur qui fait donc appel, comme je te le disais plus haut, à des représentants. Et ton livre est normalement vendu dans un grand nombre de librairies et points de vente divers, voir même à l’étranger en pays francophones et sur internet, bien sûr.
Les très grandes maisons d’édition possèdent même leur propre diffuseur, qu’elles ont créé. Pour les rentabiliser, elles proposent les services de leur diffuseur aux autres maisons d’édition (malin, non ?) Pour un diffuseur qui diffuse vraiment (oui, c’est La Palice mais tu n’imagines pas le nombre de diffuseurs bidons sur le marché), c’est :
– Interforum (filiale du groupe Editis)
– Volumen Diffusions (Volumen Distribution) : appartient à La Martinière-Seuil.
Pour Racines mêlées, j’ai eu l’honneur et la chance d’avoir Volumen. Attention, ami Lecteur, ça ne veut pas dire que j’ai touché le jackpot pour autant !
– CDE (SODIS) : appartient à Gallimard
– Flammarion Diffusion (Union) : appartient à Flammarion. Là, tu avais deviné tout seul, facile !
– Hachette Diffusion : appartient à Hachette. Sans blague.
Bon, je vais me répéter : tous ces braves gens aussi, il faut les payer.
8 – Les libraires et autres points de vente ont discuté le bout de gras avec les représentants de ton diffuseur qui ont réussi tant bien que mal à leur fourguer entre 3 à 10 de tes livres, c’est génial ! Maintenant, il faut les acheminer dans des camions. Mais pas seulement : il faut en fait un espace de stockage, préparer les commandes, les expédier, les acheminer et distribuer (tu sais, ce camion qui bloque la rue et qui t’agace si souvent) et s’occuper des flux financiers liés à ton best-seller. Il faut un distributeur. Là aussi, ton éditeur passe à la caisse.
Tu as compris : un mauvais distributeur et tu es mort, ton livre aussi.
Voilà les caïds du milieu, ceux à qui tu dois avoir affaire pour donner à ton livre une chance d’exister :
– Interforum : filiale d’Editis
– Volumen : filiale de la Martinière-Seuil
– SODIS : filiale de Gallimard
– Union : filiale de Flammarion
– Hachette Diffusion : filiale de Hachette
Là, tu me réponds : « Mais tu m’as déjà écrit à propose de ces gars ! » Oui, tu as raison.
Une variante :
Car ces gars sont les monstres du marché de l’édition. Ils sont diffuseurs-distributeurs. Et franchement, je te conseille d’avoir affaire à l’un d’entre eux si tu veux donner la moindre chance de survie à ton roman dans la jungle des environ 100 000 titres qui paraissent chaque année en France. Tu n’as pas la berlue, tu as bien lu : 100 000 titres par an ! C’est vraiment autour de ce nombre, un peu plus ou moins selon les années !
Bon, voici la réalité du terrain. La boucle est bouclée. Maintenant tu sais pourquoi tu touches des nèfles : il faut bien que tout le monde vive. L’écrivain n’a pas pour vocation d’être esclavagiste. Mais il aimerait être riche, célèbre, aimé, admiré, reconnu, c’est humain. Mais assez peu réaliste.
Petite réflexion sur le fonctionnement de la chaîne du livre
Voici, pour le final, le détail qui croustille :
En France, les libraires et autres N’ACHÈTENT PAS les livres. Et non. C’est un privilège incroyable ; c’est carrément le système du dépôt-vente que tu utilises pour vendre tes vieilles fringues ! Les éditeurs avancent gratuitement ton livre chéri, objet de tant de doutes, d’amour et de transpiration. Les exemplaires non-vendus lui sont retournés. Ce n’est pas une blague !
D’où nouveaux frais de stockage pour ton éditeur qui a déjà dépensé une fortune et qui jette l’éponge : tes livres non-vendus finiront au pilon, au mieux à la vente en occasion !
La moyenne de vente en France pour un premier roman se situe entre… 400, 500 et 800 exemplaires !
Telle est l’amère vérité ! Mais ne désespérons pas. Nous sommes là pour nous renseigner et agir en conscience.
Je te récapitule en chiffres ce que coûte un livre :
– 5,5% de TVA
– 10% auteur
– 16% imprimeur
– 6,5% diffuseur
– 11% distributeur
– 36% détaillant (libraires et autres)
– 15% éditeur (source SNE)
Donc, ton roman coûte environ 20€, c’est normal, tu ne t’en étonneras plus !
Ton éditeur, tu ne lui en voudras plus si ton 1er livre ne dépasse pas la barre fatidique des 800 vendus ! Tu pourras considérer ton à-valoir comme un cadeau du ciel ! Et surtout de ton éditeur.
Par contre, comme moi, tu te demanderas sans doute pourquoi toi, l’écrivain, et ton éditeur, vous êtes moins rétribués que les libraires qui pleurent à longueur de temps que les temps sont durs avec l’édition numérique, les gens qui ne lisent plus et patati et patata… Il est grand temps qu’ils remettent sérieusement leurs méthodes en question mais c’est l’affaire d’un autre article. Encore faudrait-il que je trouve des éléments pour l’écrire. En France, l’argent est tabou alors pour trouver des chiffres pertinents…
Et là où je ne comprends plus rien c’est quand je lis ce qui suit :
LA RENTABILITÉ DE LA LIBRAIRIE en 2011, résultat net (hors éléments exceptionnels /CA) : 0,6% du chiffre d’affaires en 2011 !!! Je n’ai pas réussi à trouver de chiffres plus récents. Les libraires pratiquent l’opacité comme tu dors toutes les nuits, ou comme tu mens sur ta santé quand tu dois aller passer une journée chez ta belle-mère. C’est comme ça.
Je n’avance pas ce chiffre au hasard. Source : Xerfi pour SLF/MCC-SLL, 2013, étude sur la Situation économique et financière de la librairie indépendante, échantillon de 800 librairies.
Mais comment est-possible ? Je sais qu’ils ont des frais mais quand même… Puisqu’ils touchent 36% de la vente de ton roman. Là, je ne vois pas. Si tu travailles en librairie et que tu peux éclairer ma lanterne, n’hésite pas à m’offrir tes lumières.
Sur ce, je te souhaite plein de bonnes choses : écrire un bon roman, dénicher un bon éditeur, un bon diffuseur et distributeur, trouver le succès, e tutti quanti !
N’oublie pas de me faire part, dans les commentaires, de tes profondes réflexions sur la chaîne du livre et les chaînes de l’écrivain. Pour les chaînes de l’écrivain, je n’ai pas résisté, la métaphore est tellement facile ! Au plaisir de te retrouver en commentaires.
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A propos des libraires il faudrait en effet avoir plus d’informations.
Le pain était réel mais la madeleine est vraie ! Excellent! C’est la magie de la littérature : les mensonges y sont plus vrais que la réalité.
Pour les libraire c’est un simple tour de passe-passe :
La rentabilité est un calcul des frais engagés/gains engrangés.
Si on considère que les livres sont en dépôt-vente, en théorie entré coûte rien, sortie ne coûte rien, sauf s’il y a vente. En revanche ils divisent donc les produits des ventes par frais d’exploitation de la librairie (immobilisations+charges salariales+impôts et taxes) et le tour de passe passe est là, ils valorisent le stock en dépôt et cela devient une charge supplémentaire qu’ils introduisent dans le calcul. Evidemment ça provoque la dégringolade.
Le résultat de tout ça, c’est que les auteurs sont les moins payés de toute la chaîne! C’est hallucinant.
bonsoir j’ecrire un livre actuellement s’il vous plait je veux savoir est ce que la librairie va t- elle acheter ton livre oubien c’est toi qui leurs donne gratuitement pouver vous m’envoyer quelque information.
Chérif,
La librairie n’achète pas de livre à l’auteur. Elle les commande à sa maison d’édition. C’est la maison d’édition qui se met en rapport avec les libraires et leur propose d’en prendre pour les vendre. Donc l’auteur doit avant tout trouver une maison d’édition qui le publie.
Mais si l’auteur se publie lui-même, alors oui, il peut aller trouver les libraires et leur proposer des livres en dépôt ; le libraire ne les achètera pas mais si un client achète le livre alors il prendra un pourcentage sur la vente (en gros 30%).
Mais ce n’est pas évident de trouver des libraires pour faire cela, du moins en France. Mais chaque pays a sa particularité donc c’est à toi d’aller voir des libraires dans ton pays pur leur demander comment ils fonctionnent.
N’a-t-on nulle part des chiffres bien précis sur toute la chaîne ?? Cela ne devrait vraiment pas être compliqué à estimer mathématiquement, et nous permettrait beaucoup mieux de voir les inégalités de traitements éventuelles. Je ne comprendrais jamais cette peur française des chiffres. C’est exactement un artifice créé par les puissants et transmis aux maillons inférieurs de la société, rien d’autre….
Si, les chiffres existent sûrement mais je ne les trouve pas car tout n’est jamais divulgué partout. Il faudrait faire une enquête. Quant aux éditeurs, les auteurs savant que leurs comptes sont opaques. De toute façon, ce que nous savons est suffisamment clair : l’auteur est le grand perdant de la chaîne du livre.