Ecrire un roman court, léger et profond comme Milena Agus : Battement d’ailes

Ecrire un roman court, léger et profond : Battement d’ailes  de  Milena Agus

 

Un lieu paradisiaque, une femme extraordinaire

 

Battement d’ailes se déroule en Sardaigne, dans une propriété merveilleuse, une campagne au bord de la mer. Entourée de logements pour touristes, elle est convoitée par des promoteurs. Madame, personnage principal du roman, y vit modestement, tenant une pension pour 8 personnes et exploitant sa terre. Elle refuse de vendre pour s’enrichir. Généreuse et fantaisiste, elle reçoit aussi bien un amant qui l’exploite que des gens perdus qui traversent de mauvaises passes.

 

Crédit photo : Christophe Delaere

Crédit photo : Christophe Delaere

Une jeune narratrice

 

Le roman est écrit à la première personne par un personnage aussi intéressant : une adolescente à l’imagination fertile et rêveuse mais à la vision plus lucide que celle des adultes qui l’entourent. Elle est également beaucoup plus intelligente que la plupart d’entre eux, y compris de sa propre mère, personnage falot et irresponsable. L’adolescente adore Madame. Car elle aussi est différente. Elle aussi possède un inépuisable fond de bonté comme son propre grand-père, seul ami de Madame.

Sous la surface

 

Ce roman est une peinture de personnages, toute en finesse. Plus que l’histoire, c’est cela qui m’a attaché à sa lecture. Les personnages secondaires y sont évoqués par touches, discrètement, et pourtant on sait toujours exactement à qui on a affaire, quels sont leurs secrets, leurs failles.

Madame cache un secret bien vite éventé par la narratrice et son grand-père : malheureuse en amour, elle est nymphomane. Ce qui n’enlève rien à la grande amitié qu’ils lui portent.

L’atmosphère

 

C’est un roman doux, acidulé, fantasque, aux limites du rêve. On n’est pas loin du réalisme magique comme chez les auteurs Sud-Américains. Je ne serais pas étonnée que Milena Agus les lisent avec beaucoup d’intérêt. Son humour perce, son ironie éclate même aux travers des yeux de l’adolescente quand elle décrit les voisins, famille de catholiques de 9 enfants qui ne sont pas sans me rappeler les Le Quesnoy du film La vie est un long fleuve tranquille.

« A propos de nos voisins qui voudraient vendre, Madame ne comprend pas que des personnes pieuses et bonnes, qui avant de manger prient pour rendre grâce à Dieu de leur repas, ne le remercient pas aussi pour ce morceau de paradis terrestre et qu’elles soient favorables à la construction de cubes de béton avec jardinets à l’anglaise, reliés par des routes carrossables, et tout ça pour de l’argent . Comme si on ne devait pas préserver l’œuvre du Seigneur même si ça ne nous arrange pas. »

 

Crédit photo : grego1402

Crédit photo : grego1402

Le style et le ton

 

Le récit de l’adolescente (dont le père a disparu après avoir ruiné sa famille au jeu) est fait dans une langue simple mais précise. Peu de mots mais choisis. Et des trouvailles qui sont d’extraordinaires raccourcis.

« De la richesse de ma famille, il ne reste rien.[…] Mais au fond, si on excepte l’argent, nous ne manquons de rien. »

Le livre est du reste court, dans les 140 pages. Ce qui n’empêche pas son univers de s’imposer tout de suite dans notre imaginaire. L’adolescente nous touche parce qu’elle a le don d’instiller de l’humanité, et même de la bonté dans tout ce qu’elle voit et choisit de traduire par ses mots. Des personnages qu’elle dépeint, elle dit au fond du bien, même quand elle est en désaccord avec leurs manières de penser, d’être, avec leurs moeurs. Il s’agit une adolescente bienveillante et tolérante, genre de personnage qui se fait rare dans la littérature, plus portée aux anti-héros que jamais depuis 20 ou 30 ans.

J’ai lu en 2 heures, un soir, ce court récit que j’ai trouvé très émouvant. Je ne l’ai pas lâché tant cet univers de paradis sarde est bien dépeint, tant les personnages m’ont émus. Il faut dire que je suis sensible à ce genre de lieu : une campagne du sud, le soleil, les animaux, la mer. Oui, je suis une femme du sud, pas de doute. Et je connais ce déchirement : j’ai perdu la campagne de mes grands-parents, paradis méditerranéen transformé en lotissement. Une perte inoubliable.

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Le combat de Milena Agus et de son héroïne

 

Sous son apparente simplicité, c’est un livre qui dénonce et combat. C’est le combat d’une femme, Madame, qui cède à une mélancolie incessante, à la dépression, à une culpabilité obscure ; c’est aussi le combat d’une femme face aux promoteurs. Elle défend le droit du bonheur à vivre dans la nature et s’oppose à la destruction de la nature et aux plaisirs immédiats du confort. On comprend bien que ceux-ci n’apporteront jamais ceux que procure la nature. Madame, c’est David contre les géants du capitalisme. Battements d’ailes est un livre qui s’insurge contre le béton, le goudron, la laideur des cités balnéaires, l’urbanisation à outrance. Un roman un peu écolo, au fond. Tous ces combats me sont sympathiques.

Le Grand-père dit que Madame est « l’homme nouveau », l’unique type humain qui pourra survivre à la catastrophe actuelle car elle sait distinguer entre les babioles et ce qui compte dans la vie. Madame doit défendre cet endroit contre tous ceux qui voudraient y construire des villages de vacances, ces gens qui ne pensent qu’à s’enrichir. Elle le défendra sans violence. Avec sa détermination courtoise. Parce que c’est l’arme du futur. Et le futur, c’est Madame.

Qui est Milena Agus ?

 

Milena Agus, écrivain profondément sarde, a connu son premier succès en France avec Mal de pierres, en 2007. Il vient du reste de paraître au cinéma, réalisé par Nicole Garcia et transposé en Provence. Il va falloir que je lise car c’est une écrivain que je suis heureuse d’avoir rencontré avec Battement d’ailes. C’est un petit bijou. Milena Agus est maintenant traduite en plusieurs langues, reconnue dans le monde et en Italie où elle a reçu le prix Elsa Morante. Elle est professeur en Sardaigne et, très modeste, n’aime pas se montrer en public.

Crédit photo : Elena Torre

Crédit photo : Elena Torre

Le sens du raccourci et de la formule

 

Voici un livre qui me donne sacrément envie d’être moins bavarde, de faire attention à ne pas « mettre trop de mots. » Je suis plutôt du genre foisonnant, lyrique. Pourquoi ne pas essayer pour une fois ? Il n’y a que dans mes nouvelles que j’écris avec le minimum d’effets. J’ai été impressionnée par le sens du raccourci et de la formule de Milena Agus. C’est une autre manière de dire les choses et elle le fait meveilleusement.

« Parfois le manque d’amour réveille madame en pleine nuit, elle se rappelle qu’elle est seule et elle a l’impression d’étouffer, elle va boire un verre d’eau, mais l’amour qui n’est pas là lui coupe le souffle. »

Oui, Battement d’ailes est un roman court, léger mais profond. Et vous, écrivez-vous court et léger, ou long et foisonnant ? Avez-vous lu Milena Agus ? Aimez-vous son écriture ?

 

Battement d’ailes, Milena Agus     

 

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3 Commentaires

  1. MF

    Comme je n’ai point lu « battements d’ailes » je me contenterai de reprendre les questions évoquées par l’auteur et du roman et de l’article:Quel sera le futur?,y aura t-il un homme nouveau de type écologiste?.Je répondrai par un questionnement qu’est ce qu’un homme de progrès ,qu’est ce qu’un conservateur?.
    J’ai donc écrit court mais avec une intention profonde qui mériterait un long développement…A bientot.

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  2. MF

    Je voulais dire qu’est ce qu’un progressiste ou un conservateur qui n’évoque jamais l’écologie dans son système de pensée(actuellement)?.

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  3. Laure Gerbaud (Auteur de l'article)

    Je pense qu’il existe déjà le nouvel homme écologiste. Beaucoup de gens se battent depuis 20, 30 ans pour une planète qui ne soit pas massacrée par l’homme. Il se passe de nombreuses choses autour de l’écologie mais elles restent très discrètes pace que les médias ne nous montrent que ce qui est moche, ce qui fait peur, ce qui déprime. Mais l’homme nouveau est né. Il est minoritaire.
    Un progressiste qui ne pense pas écologie est un faux progressiste. Un conservateur qui ne pense pas écologie est un vrai conservateur. Et un conservateur qui pense écologie (ça c’est déjà vu!) est un conservateur davantage progressiste qu’il ne croit !

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