Remplace ta réalité par ta fiction personnelle !

Remplace ta réalité par ta fiction personnelle !

La réalité, on s’en fout !

Je reviens de la Fête du Livre à Toulon. Bon, les transats n’étaient pas là, ça filtrait à l’entrée avec petite fouille (je comprends, c’est indispensable, mais ça casse l’ambiance, ça nous rappelle la triste réalité -justement), le chapiteau était pourvu de toiles opaques, blanches, alors que l’année dernière les toiles étaient en plastique transparent et on voyait à l’extérieur. Là, ça ressemble plus ou moins à un grand aquarium… Chaud, bruyant, agité, fatiguant. Finalement, c’est une fête sans la fête ! Parce que plus de concerts. Plus de contes pour enfants. Plus de buvette (même un mauvais café  et un sandwich déprimant peuvent faire plaisir, c’est plus sympa pour discuter, non ?) Dommage.

 

Fête du Livre 2016 Toulon

 

Les écrivains étaient bien là, suant sang et eau pour vendre leurs livres et j’avais la sensation de ne pas être à ma place, entre les tables avec les visiteurs, les lecteurs, les fans, les curieux… J’aurais été plus à ma place derrière une table à suer sang et eau moi aussi pour vendre mes bouquins. Je l’ai déjà fait, c’est dur, ingrat même, même si on a de beaux moments, de belles rencontres.

Mais quand même c’est difficile : je me faisais cette réflexion tout en me faisant piétiner les pieds entre les tables et je suis vite sortie -un peu vite sans doute- en me disant qu’au fond, si je m’autoéditais un jour, je ne serais plus obligée de participer à tout ça, de vendre derrière ma table, d’essuyer des refus ou de faire de la retape -gentiment. Je n’aurais plus jamais ce sentiment d’imposture que l’on ressent quand on a vendu son livre à un lecteur dont on n’est pas certain qu’il va apprécier la lecture. Sous cet aspect, c’est pas mal de vendre sur Amazon… On ne met pas les mains dans le cambouis, on ne voit personne, on ne baratine pas, on ne se mouille pas dans le processus de vente. La confrontation avec la réalité, dans ce domaine, est un exercice périlleux. Certains auteurs en sont littéralement malades et déclarent forfait : ils ne viennent plus dans les salons du livre vendre le produit de leurs tripes. Ils laissent ça aux libraires.

Donc j’en étais là de mes réflexions sur la dure confrontation avec la réalité, me carapatant vers la sortie, quand je suis tombée sur la conférence de Régis Jauffret, en plein milieu du salon, pas de cloison, rien, un brouhaha pas possible et lui, passionné, qui gueulait fort, pour couvrir le vacarme, que la réalité dans l’art, on en a rien à foutre. Ca m’a plût, tu penses bien. Parce que s’il y a une chose avec laquelle je suis d’accord, c’est bien celle-ci.

Pour rappel, Régis Jauffret faisait partie de la liste des finalistes du Goncours 2016 avec Cannibales, un roman épistolaires déjanté dont la langue à l’air belle. Une jeune femme rompt sa liaison avec un homme plus âgé et écrit à la mère de cet homme pour s’en excuser ! De là une correspondance s’établit, délirante, et elles vont jusqu’à imaginer de le dévorer cuit à la broche. Il paraît que c’est un roman d’amour mais j’ai plutôt l’impression qu’il s’agit d’un roman de haine. Si quelqu’un l’a lu je serais ravie d’avoir son retour dans les commentaires.

 

Crédit photo : La règle du jeu

Crédit photo : La règle du jeu

 

La réalité, donc. La foutue réalité ! Régis Jauffret gueulait : « Le chant des oiseaux, y a rien de plus emmerdant que le chant des oiseaux ! Mozart a existé parce que le chant des oiseaux c’est chiant! La réalité crée le manque et le manque crée l’art. On court après la réalité dans la littérature mais c’est pas intéressant la réalité ! C’est la fiction qui est intéressante. » Bon, je te l’ai rapporté de tête, c’est frais encore, grosso modo c’est ça. Et je me suis régalée. Malheureusement j’étais arrivée sur la fin de la conférence.

Alors cette histoire de cerner au plus près la réalité, cette obsession de la réalité à la française, tellement emmerdante, qui donne des « oeuvres » tellement illisibles, ennuyeuses, banales, je suis d’accord : c’est insupportable. Je dois te l’avouer : j’aime le lyrisme, le rêve, les grands horizons, les aventures, l’ailleurs, l’imaginaire, l’imagination, pas le quotidien misérable, ce que nous voyons tous les jours chez les autres ou chez nous, les petits gestes répétitifs, la médiocrité. Ce n’est pas ce que je lis, ce que j’écris. Je ne veux pas passer du temps dans des décors banals avec des personnages qui ressemblent à Madame Michu. Non, je ne suis pas toujours gentille : Madame Michu et ses rages de dents, je n’en ai rien à faire. Monsieur Tartempion, avocat à Versailles, je n’ai pas envie de raconter ou lire sa vie entre maîtresse, golf et épouse aigrie. Non, je n’ai pas envie.

Quand je pense à Giono par exemple, je vois ce qu’on peut faire d’un personnage au départ banal : un paysan, un berger. Avec lui, tout devenait autre chose, l’homme était plus grand que nature, la nature plus grande que Dieu, l’univers plus grand que l’infini. Giono n’avait peur ni du lyrisme ni de la poésie. Il partait du quotidien pour nous lancer sur des chemins imprévisibles et dépaysant. Magiques. Voilà une littérature qui me fascine, voici un écrivain que j’aurais aimé être. Voici une littérature que j’aurais adoré être capable d’écrire. Giono est Giono : un Roi. Divertissant. Et bien davantage. On en reparlera dans un autre article.

 

osez-ecrire-votre-roman.com

 

A côté de ce maître du roman, si peu à la mode pourtant, il existe des tas d’écrivains encensés aujourd’hui, on se demande pourquoi. Ils ressassent nos petites histoires misérables de tous les jours. Je ne suis pas méchante alors je ne donne pas de noms. Les écrivains français ne me font pas rêver en ce moment et je dois t’avouer que je ne sais pas qui citer pour son imaginaire sublime. Je ne vois pas.Je me tourne vers les écrivains américains, sud-américains et là j’ai des noms, des livres, du solide. Et là aussi je trouve comme dans Giono une littérature qui transcende la banalité du quotidien, des êtres sublimés, des aventures qui te donnent envie de rire et pleurer, de frémir et d’exister. Des œuvres qui emmerdent la réalité. Pas des trucs terre à terre qui te racontent par le menu détail des non-événements dont tu n’as rien à faire. Parce que tu sais déjà, tu connais déjà, tu as vu mille fois ce truc arriver, et pire, c’est prévisible dans le livre, et tu attend durant 300 pages la phrase qui va te secouer, t’émerveiller, mais rien, on reste au raz des pâquerettes à observer le gazon et remâcher le même vocabulaire -pauvre, les mêmes images, la même structure grammaticale -sujet verbe complément, la subordonnée étant considérée comme trop lourde ! A se forcer à avaler la même pauvreté en métaphores, en images, le même rythme -qui s’occupe encore de la musique des mots en France ? Plus de poésie, plus d’envolées, du terre à terre, du plat. Pas d’émotions, c’est lisse, c’est propre comme le goudron d’une autoroute. Du formaté. Du pré-digéré. Faudrait quand même pas effrayer le lecteur par un trop plein de sentiments, d’exaltation, de bonheur ou de malheur ! Pas le faire pleurer ou rire ou vibrer. Les émotions, c’est sale, faut les refouler. C’est français.

Tu vas peut-être me dire que j’exagère. Du reste, j’aimerais beaucoup avoir ton avis dans les commentaires. Mais je ne crois pas exagérer. J’adore la littérature française, mais peu notre littérature contemporaine.

Parle-moi de Jonathan Safran Foer, Jim Harrison (il est mort il n’y a pas si longtemps), Toni Morrison, John Irving, Pat Conroy, Luis Sepulveda… et d’un coup, j’ai de nouveau envie de lire ! Car ce sont des écrivains qui se foutent de la réalité. Ils ne s’en servent que pour mieux la sublimer. L’art, c’est la sublimation.

 

Joseph Joubert

Joseph Joubert

 

Alors si tu écris, j’ai quelque chose à te demander : mets de la vie et de la fantaisie dans tes romans, de la fiction dans ta vie et tes livres, de l’imaginaire dans ton existence et ta littérature, de la poésie dans ton quotidien et ton écriture, du lyrisme dans les deux, de l’émotion et du sublime dans toutes choses, dans ta vie et ton art. Remplace ta réalité par ta fiction personnelle ! Tu vas être beaucoup plus heureux et tes romans seront beaucoup plus beaux.

La réalité, on l’emmerde !

 

Cannibales, Régis Jauffret             

illustrationTéléchargez votre Cadeau

4 Commentaires

  1. MF

    bonjour

    Répondre
    1. Laure Gerbaud (Auteur de l'article)

      Ca fonctionne Marie-Françoise !

      Répondre
  2. Marie-Françoise

    D’accord pour encenser nombre d’auteurs américains tel john Irving avec »avenue des mystères » qui mêle de façon surprenante et captivante la réalité et le merveilleux,cependant certains écrivains français peuvent être lyriques tel Marc Dugain dans une réalité menaçante quoique intimiste avec »en bas les nuages » et Sylvain Tesson dans une rencontre avec la nature proche d’une tragédie physique et spirituelle dans toute son oeuvre, particuliérement avec: « dans les forêts de Sibérie », »sur les chemins noirs ».J’evoquerais certains romans historiques qui subliment les personnages hors du commun dont la vie romanesque transcende la « réalité »:Alexandra Lapierre est une spécialiste du genre avec:Artémisia », »tu seras reine des quatre mers », »Moura ».A plus.

    Répondre
    1. Laure Gerbaud (Auteur de l'article)

      John Irving est génial, Sylvain Tesson très fort. Un boxeur et un aventurier, des profils atypiques pour une littérature atypique. J’adore. Marc Dugain, je ne l’ai pas lu. Alexandra Lapierre non plus. Ce qui me laisse du boulot… A bientôt.

      Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *