Osez écrire votre roman : défi numéro 2 avec le mot métèque

 Dans Osez écrire votre roman, je me lance chaque semaine un défi.

Crédit photo : Gene Wilburn

Crédit photo : Gene Wilburn

Une semaine, un texte : défi numéro 2 avec le mot métèque

J’ai donc fermé les yeux, pointé le doigt dans mon dictionnaire et quand je les rouverts, pas de chance ! Le mot métèque ! Alors là, grand moment de solitude… Mais que vais-je faire avec un mot pareil ?

Le mot métèque n’est pas un mot que j’aime sauf quand c’est Georges Moustaki qui le chante, avec toute sa tendresse :
«Avec ma gueule de métèque
De Juif errant, de pâtre grec
De voleur et de vagabond
Avec ma peau qui s’est frottée
Au soleil de tous les étés
Et tout ce qui portait jupon
Avec mon cœur qui a su faire
Souffrir autant qu’il a souffert
Sans pour cela faire d’histoires
Avec mon âme qui n’a plus
La moindre chance de salut
Pour éviter le purgatoire»
Généralement, il n’est jamais employé dans son sens littéral comme dans le Littré où je trouve : « Nom à Athènes des étrangers domiciliés qui jouissaient des droits civils, mais non des droits politiques ». Il est toujours employé dans le sens que je déteste, le sens péjoratif et même raciste. On peut lire dans le Robert : « Etranger méditerranéen résidant en France et dont l’aspect physique, les allures sont très déplaisants. »

Bon, allez, me suis-je encouragée, c’est le défi, tu vas bien trouver…

                                                        MÉTÈQUE

 

« Métèque, espèce de sale con de métèque ! » Il se retourna, surpris. Pas parce qu’on le traitait de sale con de métèque, non, il avait l’habitude des insultes et du mépris mais plutôt par le terme même : métèque. Cela faisait bien des années… Plus personne ne disait métèque. Sur les chantiers, il n’avait pas de nom. On disait l’Arabe ou Mohammed. Il s’appelait Khaled mais tout le monde s’en foutait. Quand on est raciste, tous les arabes se nomment Mohammed. C’est un cliché qui rassure les cons parce que c’est un cliché qui ôte son individualité à l’homme, qui le rabaisse. Ça les cons, ils aiment.

Mais métèque, non, décidemment, ça faisait longtemps. La mode était au « bougnoul, bronzé, sale con de djihadiste ». Il faut dire que ces derniers ne lui facilitaient pas la tâche avec leur manie de décapiter les hommes comme on ouvre un œuf à la coque. Va faire comprendre que tous les Arabes et les musulmans ne sont pas des djihadistes à un type qui ne connaît du vaste monde que son voyage de congé payé, dix jours par an, enfermé dans un hôtel en pension comprise avec un troupeau de quarante personnes, semblables à lui, qui ne sortent qu’en bus avec un guide !

Khaled se retourna et fixa droit dans les yeux le type qui le regardait, un Dupont Lajoie de soixante-dix ans environ, cheveux gras, enfin ce qu’il en restait parce qu’il portait la coupe Chaussée aux Moines, graisse du ventre moulée dans un débardeur Marcel comme on en voit plus depuis longtemps, affublé d’une petite moustache, alors là la petite moustache… Une caricature, quoi ! Un type improbable tellement il symbolisait la haine des autres et le contentement de soi. Khaled sentit une vague de fou rire monter dans son ventre ; il s’obligea quand même à regarder le type d’un œil noir parce que les cons ont peur du regard des Arabes. Ils ont toujours envie de le fuir. Qu’un Arabe les regarde, ça les gêne, allez savoir pourquoi ?

Le vieux – à cet âge là, on est plus vieux aujourd’hui mais celui-ci avait réussi à le devenir malgré la retraite, les congés payés, les progrès de la médecine et la sécurité sociale -, ça ne rata pas, eu le regard déviant, errant quelques secondes dans les airs pour échapper au sien. Et puis quoi, il n’allait pas se laisse emmerder par ce métèque ? Alors, par un effort de volonté puissant, il faut le lui reconnaître, il revint sur le visage de Khaled. Il suintait la peur comme un robinet rouillé.

Khaled attendait, impassible, prenant la pose : je suis un con, je ne comprends pas ce que tu cherches. Ça les faisait tourner en bourrique les cons quand il prenait l’air idiot de celui qui ne sait pas bien le français. Il en jouait quand il le fallait. C’était difficile à ce moment précis : il était à deux doigts du fou rire. Il pensait à Robert Bidochon car il avait lu toutes les B.D. de son fils qui venait de passer son Bac.

Le vieux tremblait presque. L’Arabe faisait au moins un mètre quatre-vingt, bâti comme un type qui travaille sur les chantiers tous les jours depuis vingt ans, des épaules de lutteur, des bras qui portent des sacs de cinquante kilos comme d’autres portent leur boite d’allumettes. Bon, comment se tirer d’affaire sans faire trop minable maintenant qu’il avait déconné ? Pourquoi l’avait-il bousculé volontairement ? Pourquoi avait-il cherché la bagarre ? Pourquoi n’avait-il pas d’abord mesuré la force physique de l’adversaire ? Il n’aurait pas dû l’insulter. Délicat. Par chance, il n’y avait personne dans la rue, au moins il n’aurait pas honte devant témoins.

– Oui, Missieu ? demanda Khaled, exagérant volontairement ce qu’il lui restait d’accent magrébin, c’est-à-dire plus grand-chose après avoir passé plus de vingt ans à travailler en France.

Oh, mais c’est qu’il n’avait pas l’air agressif du tout cet arabe, ça changeait tout ! Il allait s’en donner à cœur joie !

-Pourquoi tu m’as bousculé tout à l’heure ?

– Je t’i pas bousculé, M’ssieu.

– Ouais ben fais attention la prochaine fois. Tu sais pas à qui t’as affaire !

Khaled pensa très vite : « Ben si, justement : à personne. Enfin, à un lâche con, c’est pareil. Les cons sont lâches. Insignifiants. » Puis le fou rire retenu glissa de sa gorge à son palais, gonfla ses joues, s’insinua comme le vent entre ses dents, ses lèvres, et explosa à l’air libre. Un rire tonitruant d’homme heureux ! Des larmes lui montèrent aux yeux. C’était une joie immense, une libération, un soulagement profond. Il attendait ça depuis qu’il avait mis les pieds en France et il croyait que ça ne viendrait jamais. Plus de vingt ans déjà ! Les trois dernières années, il s’était senti proche du dénouement parfois, mais aujourd’hui c’était différent : il était enfin arrivé au port. Il sentit qu’il avait profondément changé ; il s’en foutait, il se foutait de ce con, de tous les cons, il était devenu indifférent, parfaitement indifférent à la connerie. Il n’avait plus peur. Il se sentait libre, entier, redevenu un homme complet, un homme avec ses joies, son sourire, ses rires. Un homme libre.

Le vieux prit tellement peur qu’il se carapata comme un cafard : il tourna le dos sans un mot et se mit à courir à toutes jambes, complètement affolé. L’Arabe allait lui faire la peau, il se foutait de sa gueule ouvertement. Jamais, au grand jamais, un métèque d’Arabe ne se foutait de la gueule d’un Français ouvertement. Il devait être dingue celui-là ! Et s’il avait un couteau dans sa poche de jean ? Il valait mieux se tirer, c’était plus sûr.

Khaled ne le sut jamais : le type s’appelait vraiment Robert, si si, comme Bidochon ! Et il tomba sur le trottoir, terrassé deux rues plus loin, se vidant de peur dans son froc .

Khaled riait toujours, en rentrant chez lui, tandis qu’une vieille connaissance de Robert, qui passait par là, le ramassait comme un sac et le traînait sur un banc dans une odeur terrible d’urine. Ça ferait vite le tour du quartier : Robert est incontinent !

Khaled, gai comme un homme heureux, se dit : demain, je les emmerde enfin. Gentiment mais fermement. Je vais leur dire calmement : j’ai un nom. Je m’appelle Khaled.

chantier

                                                                                                                               Crédit photo : Audrey AK

Mes commentaires :

Mes opinions étant ce qu’elles sont, ça n’a finalement pas été difficile, c’est venu spontanément. J’ai élagué quelques adjectifs en trop, rétablit quelques tournures maladroites. Un jet unique. La vulgarité d’expression est venue d’elle-même, elle permet de se mettre tout de suite dans le contexte puisque c’est un personnage populaire, vulgaire et caricatural qui provoque l’histoire.

J’ai cité le Dupont Lajoie du film d’Yves Boisset qui m’avait beaucoup marquée, très jeune, et Bidochon, le personnage de la B.D. de Binet. Autant leur rendre hommage au passage. J’ai quand même hésité à la relecture et puis je me suis dit que le personnage du raciste était une caricature, alors autant aller jusqu’au bout. Dupont Lajoie et Bidochon sont aussi des caricatures et ça ne gêne personne. Pourquoi ne pas travailler sur le cliché, pour une fois ?

Je n’écris généralement pas avec vulgarité, c’est donc une bonne expérience pour moi. La contrainte est mère de la créativité, c’est un fait étonnant, et pourtant…

L’ironie qui se dégage du texte m’amuse car elle correspond bien à ma manière de m’exprimer oralement. Je m’y retrouve ! Sinon ce petit texte reste modeste, littérairement parlant. Mais le défi est assuré et la chute fait du bien. Car au fond : “Toute écriture est politique puisque toute écriture est une vision du monde.”

                                                                                 Marie Darrieussecq

 

Et vous qu’allez-vous écrire avec le mot MÉTÈQUE ? Et avez-vous écrit avec le mot précédent nuance ?

Faites-moi part dans vos commentaires, ci-dessous, de ce que vous pensez de mon texte et si vous avez écrit le vôtre, n’hésitez pas à le partager.

 

 

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