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B : livres à lire, la bibliothèque

B : livres à lire, la bibliothèque

Richard Bohringer

L’ultime conviction du désir

 

J’ai été emportée par un flot d’images, de sensations, d’odeurs, de sons, d’émotions. Richard Bohringer nous balance tout. Et c’est beau. Vraiment très beau. C’est un long texte alternant phrases courtes, phrases sans verbes, mots seuls. Comme un long chant, un poème de 126 pages, une litanie de l’amour et du désir. Un carnet de voyage en mots. Une succession d’instants, de situations, de rencontres avec lui-même, avec les autres. Rédigé comme on rédigerait un journal intime. Ou des lettres. Pas de structure. Même la chronologie est bouleversée, sans importance. C’est une livre splendide, dont on ressort secoué. Et du point de vue d’un écrivain, c’est un livre-tour de force car il prouve qu’on peut écrire sublimement un hybride : ni roman, ni essai, ni nouvelle, rien d’habituel, de connu. Richard Bohringer a laissé glisser sa plume avec vélocité, sans chercher à entrer dans aucun moule littéraire, et ce n’est pas le moindre charme de son livre. Il est un homme à prendre ou à laisser, sans concessions. Je prends.

Richard Bohringer griot

 

   Il y aura sur la route, des villages de chaque côté, un grand arbre dans l’air brûlant. Intense l’âme derrière le pare-brise.

   Les femmes, boubou fou, balancent un coup sensuel sur les poubelles mille fois soulées. Petits talibés, hordes d’orphelins, qui sourient et qui rient. Malgré tout.

   Mon cœur est à toi ma merveille, ma terrible Afrique.

   Je te regarde. Je m’enfouis en toi. Maman. Tes seins comme un continent. 

Un style, un ton, et un tour du monde

 

Le miracle de son style est d’avoir réussi à créer avec de si courtes phrases un livre épique, lyrique, qui soulève l’âme, la porte, lui donne l’émotion forte, âpre, parfois désolée, mais follement désirable de la liberté. Richard Bohringer n’est pas un amateur : il écrit comme on respire, et avec conviction. Il a du chien. Son style a de la gueule. Son ton a de la gueule.

C’est le tour du monde, les continents abordés, les différences partagées, aimées, appréciées, les cultures présentées comme des cadeaux et non plus des contraintes, des paysages de brousse, de nulle part, de là où l’on ne va jamais, ou si peu quand on est un occidental : c’est un tour du monde, Amérique du Sud, France, Asie, Islande, et c’est souvent l’Afrique que Richard Bohringer adore. Il est du reste citoyen sénégalais depuis 2002.

Ce qui personnellement me sensibilise beaucoup puisque j’ai vécu 14 ans en Afrique. Je n’ai jamais pu l’oublier. Et là, je suis touchée au cœur. Quand il parle de l’Afrique de l’Ouest, tout y rendu avec grâce, sensibilité, intelligence.

L’ultime conviction du désir, c’est Richard Bohringer qui crie sa révolte devant la dureté du monde, des profiteurs, des politiques et s’extasie devant la beauté de l’univers, des êtres, des paysages, hurle son amour, son amitié, sa tendresse rocailleuse, son trop-plein de vivre et d’aimer, de partager fraternellement ce que la vie nous offre de plus précieux : le rire, le sourire, le silence complice, un thé à la menthe, un chant, la musique, ses enfants, ses belles rencontres, les femmes, le sexe…

Les pages écrites sous influence musicale malienne. Aimer l’Afrique c’est être sous influence.

   La nuit bleue. Sur le fleuve Niger. Bamako. Ton blues m’a pris l’âme.

   La pirogue caresse l’eau.

   La lune proche, si proche, faramineuse, élégante, se pose devant moi. En ombres chinoises des bouts de vie, des arbres, des cases. Je suis dedans. Dans l’écran. Au milieu de la vie en ombres chinoises.

Et plus loin :

   Nous danserons toute la vie l’un contre l’autre. Peau contre peau. Sel mélangé. Rigole entre tes seins, entres tes fesses. Musique lointaine. Blues dans la nuit. Donne envie. Tes seins dans mes mains.

Une musique bien à lui

 

J’ai rarement lu un aussi bel hymne à l’amour de la vie. Un hymne rythmé comme un jazz ou un reggae sensuel. Richard Bohringer a de l’oreille. Sa langue chante et swingue. A ce propos, offrez-vous l’un de ses C.D. Ecoutez-le dire ses textes. Et lisez-le.

Surtout, allez-y ! Entrez dans son univers. Il n’est pas politiquement correct. Un instant magique bien au-dessus de toutes les médiocrités publiées, des livres montés au pinacle on se demande par quel miracle d’entregent. Sur l’acte d’écrire aussi, il a des réflexions fulgurantes.

   Toi qui lis ce bouquin, j’écris le désir de la vie. Écrire à toutes pompes. Comme un fou. Ne pas savoir où aller. Se perdre. Me réfugier.

   Prendre la machine dans ses bras. S’abriter derrière le clavier.

   Écrire. Les torrents, les bateaux au bout du monde, les fleuves, les grandes marées, les prémonitions, les ombres, la discutation humaine, la palabre. L’envie de se raconter l’autre.

   L’ultime conviction du désir.

  On mourra pas et si on meurt tant pis.

   Oublie que je t’aime.

L’amour, la passion, les humbles

 

Richard Bohringer chante la vie, les pauvres, les délaissés, les oubliés, les humbles. Il chante l’homme et la femme. Il n’oublie pas les enfants. Richard Bohringer aime au-delà de l’amour, plus fort encore. Il brûle de passion. Peut-être est-ce pour cela qu’il se noie parfois dans l’alcool. Sans doute une tentative pour apaiser la brûlure, l’intensité. Mais c’est vain : la brûlure est là.

   L’écriture devient dangereuse. Elle dénonce l’imposture. Refuse le mensonge. Sauve les anges déchus. Les paumés de leur vie. Les tendres qui regardent tout dans les rues.

Et encore :

   Vivre l’écriture. À la folie. N’avoir aucun génie. Juste la vie vécue. La transcendance et l’espérance. L’inspiration. Tuer l’inspiration au profit des belles-lettres. Les spadassins traînent dans les couloirs de la culture.

   Les groupes de pensée deviennent uniformes. Vivre l’idée de l’écriture. Écrire par tous les temps. Au bout des champs. Derrière l’horizon. Les phrases odeurs. Les phrases souvenirs. Il y aura celles écrites. Il y aura celles sans traces. Juste pensées. Juste vécues. Tout ne sera pas écrit. Trop d’intime à deviner entre les lignes.

La vérité qui cogne aux tripes, le livre qu’on ouvre pour ne le fermer qu’au dernier point –avec regret- et dont on sait qu’on le relira encore et encore.

Et il faut bien entendu le lire avec L’ultime conviction du désir.

L’ultime conviction du désir, Richard Bohringer

 

C’est beau une ville la nuit, Richard Bohringer

 

C’est beau une ville la nuit, R. Bohringer, C.D 

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